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dire que je lui donne tout mon temps, et vous ne m’en voudrez pas si je vous ai négligé, vous heureux, pour elle souffrante. La voilà sauvée encore une fois, si son entourage ne tente pas quelque funeste expérience sur elle. Dans cette crise morale de toute cette maison, j’ai découvert que la grande demoiselle [1] n’a pas d’âme, et je ne me chargerais pas maintenant -de la marier à un homme qui demanderait autre chose au mariage qu’une maîtresse qui lui fit des enfants. Dans six semaines, j’aurai dit adieu à cette Poudrerie pour ne la plus revoir, et je me jetterai dans la vie agricole [2], si nuancée pour qui y assiste, si terne pour qui la voit de loin. Je crois, cher, que vous la redoutez un peu, car vous me donnez un peut-être affligeant, sur lequel je ne devais pas compter : vous m’aviez promis une visite, et dans les douze longs mois qui composent cette longue année, vous ne pouvez en désigner un à me consacrer. Vous aurez pourtant une bonne petite chambre à Frapesle, et, si vous n’avez pas oublié l’amitié des propriétaires, vous devez espérer quelque plaisir de ce séjour. J’ai lu vos deux volumes. Oh ! la Femme abandonnée [3] ! Excepté une odieuse réflexion de Gaston, tout y est admirable. Vous n’aurez pas souvent de semblables inspirations. Je suis glorieuse de la Grenadière [4]. C’est vraiment digne de vous. Cette bienheureuse libération n’arrive donc point, malgré vos efforts ? C’est odieux, toujours marcher, et ne pas arriver ! J’ai une prière à vous faire. Je serais extrêmement heureuse de recevoir Mme de Berny. Je ne puis lui faire une invitation que je ne pourrais motiver convenablement, ne la connaissant pas. Il faut donc que vous m’aimiez assez pour me l’amener, pour lui persuader que chez moi ce sera chez vous. Ici, je n’aurais osé insister, à cause du voisinage investigateur ; mais à Frapesle, elle sera une connaissance à moi, et l’on n’ira pas plus loin. Dites, Honoré, le voulez-vous, le pouvez-vous ? Vous travaillerez bien plus fructueusement aux côtés de votre bon ange et loin des misères comme des joies de Paris. Au mois de mai, votre chambre sera prête ; puis nous avons de bonnes vendanges, et ce n’est pas sans mérite pour un

  1. Thérèse, la fiancée manquée du relieur Spachmann.
  2. A Frapesle.
  3. Scènes de la vie de province, t. Il (Études de mœurs au XIXe siècle, t. VI) ; Paris, Veuve Ch. Béchet, 1833 (daté de 1834), in-8 (Éd. L. Conard, t. IV).
  4. Ibid. (Éd. L. Conard, t. IV.)