Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 14.djvu/670

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Berthe la Repentie, ce ne sera pas Blanche d’Azai [1]. Il n’est pas donné à un homme d’être visité deux fois par l’esprit gracieux et chaste qui vous souffla le Péché Véniel. Il y a là de quoi immortaliser un homme. Vous pouviez, tranquille sur l’avenir, quitter la plume après avoir écrit ce chef-d’œuvre. Que Louis Lambert se soit peu vendu, je le conçois, il est à la portée de peu de gens ; puis vous l’aviez déjà fait imprimer ailleurs. Mais le Médecin de campagne, qui n’a qu’un défaut, celui d’être trop plein d’idées, trop pâté, si je puis dire, le Médecin de campagne devait avoir beaucoup de lecteurs, précisément à cause de ce défaut. Il y a là quelque diablerie de libraire. Votre procès vous a nui, en province surtout. Si j’avais été auprès de vous, je vous aurais dit : « Donnez le deuxième volume gratis à Mame, et prenez en échange le droit de l’appeler fripon. » Rien n’eût trainé en longueur. Enfin, c’est fait !

Que de fois j’ai rêvé la possibilité de vous offrir trente mille francs ; que de fois je me suis faite ambitieuse pour cela ! Et si je les avais eus, je vous les envoyais tout bonnement, car vous ne pouviez me refuser. Moi, je ne suis que votre amie. J’applaudis pourtant à votre résolution de ne devoir tout qu’à vous-même. Je suis heureuse de penser que vous donnerez relâche à cette active fabrication d’idées. Vous irez loin, dites-vous ; cela vous délassera la tête et vous laissera de bons souvenirs. Puis, vous, enfant de Paris, ne passerez pas une année sans y revenir, et nous, vos amis, vous reverrons. Je vais, en arrivant, arranger de suite mon parloir et votre chambre, et vous viendrez dater quelque chose de Frapesle, car à Frapesle, vous travaillerez ; la vie vous y sera facile et douce. Vous ferez une prière à votre bon ange, et s’il est miséricordieux, il viendra embellir votre séjour et vous exempter de toute préoccupation. Lisez-lui mon opinion sur Eugénie Grandet et Gaudissart ; je suis toute heureuse, quand je sais que je me rencontre avec elle pour le fond des choses, car, quant à la partie purement littéraire, je me reconnais indigne et n’y ai aucune prétention. J’ai vécu trop sérieusement, et trop solitairement, pour avoir étudié beaucoup les formes.

Carraud me charge de vous dire qu’il y a un moyen de vous soustraire au pillage belge [2] de vos livres ; c’est de les vendre

  1. Dans les Contes drolatiques.
  2. En 1839, Balzac déclarait que « la contrefaçon belge lui avait enlevé douze cent mille francs. » (Les Cahiers Balzaciens, n* 1, p. 19.)