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petites inventions... « A cette ère nouvelle du monde, dont l’aurore est faite du sang des hommes, l’art doit s’égaler à la nation meurtrie : être sublime ou ne pas être. » A mon avis, c’est trop d’exigence et, du moment que l’on écrit, c’est trop d’ambition.

M. Pierre Hamp retourne à châtier les littérateurs, dans son livre des Métiers blessés, où d’abord il invective contre ce qu’il appelle « le préjugé des mains blanches. » Il dit : « Le préjugé des mains blanches fait que la classe la plus honorée de la nation est la moins productive. Dans le respect populaire, le travailleur des durs métiers est au plus bas, l’employé en haut. Dans la considération bourgeoise, l’industriel, le fabricant sont derniers, l’écrivain premier... » Je n’en suis pas sûr ; et même, je ne crois pas du tout que l’écrivain soit aujourd’hui l’objet d’une estime particulière. On admet généralement qu’il y ait un peu d’analogie entre l’argent qu’un métier rapporte et la considération qu’il procure : l’écrivain n’est pas un grand « profiteur, » à notre époque ; l’industriel et le fabricant font d’autres bénéfices. Du reste, M. Pierre Hamp a raison de préférer le brave homme qui s’enrichit dans le commerce des lards et des suifs à tel auteur de « vaudevilles pornographiques ; » seulement, ce n’est pas de jeu, s’il donne à la littérature le représentant le plus vil.

Approuvons-le, quand il écrit : « Nous avons le devoir de devenir un peuple riche, capable de suffire à toutes les réparations, de relever toutes les ruines. Pour cela, peu de littérateurs nous sont nécessaires, mais beaucoup de fabricants, d’ouvriers et de commerçants habiles... Toute la prospérité et la sécurité nationales reposent sur le travail. Cette guerre a agi contre l’honorabilité des mains blanches et la noblesse de ne rien fabriquer ni vendre. » Il a raison : nous avons trop de littérateurs et nous n’aurons jamais trop d’ouvriers ; la besogne est immense, les fainéants ou faiseurs de néant sont de l’énergie perdue.

Il a raison, quand il écrit : « Nous, Français, avons cru longtemps qu’il suffisait, pour demeurer un grand peuple, de penser noblement... » Avant la guerre, entre les deux guerres, la France, qui avait été vaincue, parut en effet supposer que la suprématie intellectuelle rachetait sa défaite : la seconde guerre a démontré que rien, ni la souveraine intelligence, ni la plus noble pensée, ni la perfection de l’art, ne remplaçait la victoire des soldats sur les champs de bataille, signe de force matérielle ; et nous avions tort de mépriser la force. Elle nous avait trahis ; nous cherchions désespérément des équivalences d’orgueil. La victoire nous a remis dans la vérité.