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« Mais en Espagne ! En Espagne ! » Procurez vous au plus vite les Sept chansons populaires de M. Manuel de Fallu [1]. J’aime à croire que vous connaissez le nom du musicien et ses œuvres précédentes. L’Opéra-Comique, il y a quelques années, a représenté la Vie brève, et sa faute, sa très grande faute, est de ne s’en point souvenir. L’Heure espagnole, la vraie, l’éclatante, l’heure de midi, c’est celle-là. Aimez-vous, espagnoles toujours, les heures fraîches, nocturnes et semées d’étoiles ? Souhaitez que l’éminent chef d’orchestre madrilène, M. Arbos, revienne à Paris diriger de nouveau, comme il l’a fait cet hiver, l’étincelante symphonie pour orchestre et piano qui s’appelle Une nuit dans les jardins d’Espagne. Mais pour prendre patience, lisez les Sept chansons. Là bouillonne un sang nouveau. De quelle chaleur, de quelle richesse et de quelle pureté ! Depuis les dernières mélodies de M. Gabriel Fauré, l’Horizon chimérique, rien d’égal, bien que tout autre, n’a paru. « Populaires, » comment ces chants le sont-ils ? Nés de l’âme même du peuple, ou créés par un grand artiste à l’image et à la ressemblance de cette âme ? Je ne sais. Et peu m’importe. En soi déjà, rien qu’en soi, seuls et nus, les thèmes sont beaux, vigoureux, éclatants. Mais sur eux quels vêtements sont jetés, et quelles parures ! Des harmonies d’abord, fortes et hardies, mais qui se nouent et se dénouent toujours suivant une logique rigoureuse. On se répète ces deux vers du sonnet de Falstaff, qui définissent l’harmonie elle-même :

Allor la nota che non è più sola,
Vibra di gioja in un accordo arcano.


Des accords secrets, des accords étranges, font ainsi vibrer « la note qui n’est plus solitaire. » Elle vibre ici, tantôt de joie, d’une joie ardente et fière, tantôt d’une tendre mélancolie.

Une autre force de cette musique lui vient de son rythme, ou de ses rythmes, car ils sont divers. Ces tableaux enfin, d’un si ferme dessin et d’une couleur si vive, l’artiste les encadre magnifiquement. Des préludes annoncent les chants, des intermèdes les suspendent, des épilogues les achèvent, et leur étendue ainsi que leur beauté s’en accroît.

C’est la première fois que nous parlons de la musique espagnole depuis qu’un de ses maîtres, un des plus nobles, un des plus grands, Felipe Pedrell, a cessé de vivre. La France le connaissait à peine, de

  1. Adaptation française de M. Paul Milliet ; Eschig, éditeur, Paris.