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les mains des particuliers, l’État se réservant à lui seul le droit de procéder à tous les paiements à l’étranger. Le mark-papier d’aujourd’hui réalise la conception du philosophe d’une monnaie sans valeur internationale, et par là les Allemands se trouvent pratiquement avoir isolé leur système commercial. Fichte recommande encore à l’État d’utiliser les métaux précieux et les devises étrangères pour les frais de la politique extérieure ; et c’est précisément ce que fait l’Allemagne. Ne prétend-elle pas actuellement subvenir à la guerre qu’elle mène contre nous par un emprunt intérieur libellé en dollars et gagé sur l’encaisse métallique de la Reichsbank, en dépit des stipulations formelles du traité de Versailles ? L’idée de faire de l’Allemagne une unité économique close se trouve, depuis le XVIIIe siècle, chez tous les théoriciens allemands ; elle dérive du colbertisme. Que les Allemands l’aient voulu ou non, il est constant que, par suite de l’inflation, le résultat est, pour le moment, obtenu ; la catastrophe suivra peut-être, mais actuellement l’activité industrielle et commerciale est intense et les Allemands créent, avec du papier déprécié, des usines, des bateaux, des maisons qui représentent des valeurs-or. En une semaine, les chantiers de Brème ont lancé 33 000 tonnes de bateaux neufs. L’Allemagne, par ses procédés monétaires, a gardé toute sa richesse potentielle et sa force de production, mais elle empêche ses créanciers de mobiliser leur créance. Et c’est pourquoi au moment où, las d’être bernés, les créanciers saisissent les réalités économiques de ses usines et de ses mines, l’Allemagne mène ce beau tapage et emploie les devises que lui paient les pays étrangers à sa propagande de mensonge. Voilà des faits que devraient méditer M. John M. Keynes et ses pareils, enfoncés dans les vieilles doctrines du libéralisme manchestérien. Voilà des réalités aussi menaçantes pour l’Angleterre que pour la France, la Belgique et l’Italie.

Et voilà aussi de puissantes raisons de féliciter le Gouvernement français de s’être décidé à occuper la Ruhr et d’être résolu à y rester jusqu’à ce qu’il ait obtenu, pour lui et ses alliés, pleine et entière satisfaction. Sur place, l’action coercitive et l’action économique se précisent et se resserrent. Les récents attentats ont été l’occasion de nouvelles mesures de défense ; s’il le faut, on recourra aux procédures répressives rapides qui ont si bien réussi, en Silésie, au général Le Rond. Notre industrie souffrait surtout du manque de coke ; depuis le 12, les stocks de coke sont saisis dans les cokeries et expédiés en France et en Belgique par voie de terre ou par voie d’eau. C’est là un fait dont M. Le Trocquer ajustement souligné l’importance : il montre