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la Puno désolée et les étangs ; à Crucero Alto, point culminant de la ligne, le paysage est d’une tristesse infinie ; c’est la caractéristique de cette nature. Puis nous descendons vers Aréquipa.

L’herbe apparaît bientôt sur les pentes, avec quelques couples de vigognes. Ces cousins sauvages des lamas sont plus petits que leurs parents domestiques, et beaucoup plus gracieux ; leur couleur est café au lait, avec le ventre blanc ; la vue du train les laisse à peu près indifférents. Nous voyons une horde d’une trentaine de vigognes s’arrêter après quelques foulées de galop et nous regarder tranquillement ; elle anime un peu ce paysage si triste.

A Aréquipa, je retrouve M. Dupeyrat et quelques officiers que j’y ai laissés, ainsi que mon fidèle noir Baba Coulibaly, mon ordonnance soudanais, qui me suit depuis seize ans et qu’une menace d’anévrisme m’a empêché d’emmener dans la montagne. Il a galopé dans les environs et demandé l’hospitalité dans les villages indiens ; Baba, qui a beaucoup voyagé, a trouvé les hommes hospitaliers, polis et assez travailleurs ; il dit que les femmes sont chastes, et c’est un hommage assez rare dans sa bouche. Mais il est scandalisé par la saleté générale : « Ces gens-là ne se lavent jamais, même s’il y a de l’eau pour se baigner quatre fois par jour, même au bord de la rivière. »

Je reçois à dîner les officiers de la garnison, et je fais mes adieux à l’armée péruvienne, non sans quelque émotion, je l’avoue. J’ai vu la plus grande partie des troupes, et je puis féliciter leurs officiers de la façon dont ils comprennent leurs devoirs militaires et me réjouir de savoir que mes camarades de l’armée française les aident dans la préparation et l’exécution de leur tâche.

Il savent que, en aucun cas, la pénurie momentanée de matériel ne doit empêcher l’instruction militaire ; ils ont à défendre le sol natal et à soutenir les antiques et glorieuses traditions de tous les éléments qui forment leur peuple. Mais leur rôle ne se borne pas à la prévision d’une guerre toujours possible ; pendant la paix, ils sont les éducateurs qui créent l’unité nationale. Quand la population est groupée, c’est l’instituteur primaire qui a le devoir de former des citoyens en enseignant la langue et l’histoire du pays, le respect des lois et de la morale, les droits de l’homme et ses devoirs envers la collectivité. Mais ici, la dispersion sur de grands espaces rend impossible