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qui s’établit à Dublin, au Palais de Justice, dont possession est prise par un coup de main le vendredi saint de 1922. Là, une « junte » militaire, l’ « Exécutif » du « Conseil de l’armée, » prétend s’ériger en pouvoir souverain ; le chef en est un ex-officier de l’État-major régulier, Roderick (ou Rory) O’Connor. Il y a des temps, disent-ils, où il incombe à l’armée, gardienne de l’honneur national, de sauver le pays, fut-ce malgré lui. Un peuple n’a pas le droit de se nuire ou de se détruire par lâcheté, et « en temps de crise le droit de diriger le pays n’appartient pas seulement au Gouvernement, mais encore à toute autorité qui interprète justement les traditions, les aspirations nationales et met en œuvre les moyens les meilleurs pour assurer le salut de la nation. » La force est justifiée, selon M. de Valera, si l’armée peut ainsi sauver le peuple des calamités qui fatalement suivraient l’acceptation du traité : quand il se trompe, ce serait le trahir que de ne pas l’empêcher de se tromper.

De pareils sophismes ont de tout temps servi de prétexte aux factieux. Au vrai, c’est la révolution armée qui s’installe, c’est la dictature du révolver. Les rebelles débauchent ou arrêtent les soldats ou officiers de l’armée loyale, saisissent armes et matériel, explosifs et munitions, attaquent par surprise les casernes, les édifices publics, les bâtiments qui dans les villes font points stratégiques en vue d’une guerre de rues, occupent les gares, coupent les voies de communication, isolant ainsi des régions entières, prennent par force vivres et marchandises chez les commerçants, argent comptant dans les banques et bureaux de poste (le 1er mai, ils volent ainsi 50 000 livres sterling dans les succursales de la Banque d’Irlande). Telles et telles villes, à tour de rôle, passent au pouvoir des irréguliers, qui y vivent en pays conquis. Ailleurs ils passent des nuits à tirailler pour harasser le moral de la population par la tension, la menace perpétuelle. Et puis, par des attentats dirigés contre des militaires britanniques, contre des protestants, des unionistes, on cherche à provoquer l’Angleterre pour l’obliger à recommencer la guerre en Irlande, à la faveur de quoi la minorité irréductible reprendrait la haute main sur le pays. Et de même à l’égard du gouvernement de Belfast : on saisit, on pille les marchandises, les valeurs, les trains venant des six comtés, les propriétés appartenant aux Orangistes, tandis que sur la bordure de l’Ulster les bandes armées se livrent à des coups de main,