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Surpris par cette déclaration, l’enfant pâlit, se retourne et s’enfuit dans sa chambre, laissant M. de Chateaubriand à genoux et fort décontenancé. M. de Damas fit observer au grand écrivain qu’il eût mieux valu ne point soumettre à une semblable épreuve l’imagination d’un prince aussi jeune. On approuva le Duc de Bordeaux de s’être soustrait à l’embarras d’une scène aussi théâtrale. Le Roi et les siens convinrent de ne faire aucune observation sur ce sujet à l’ambassadeur de la Duchesse de Berry, à moins que lui-même ne leur en parlât. Il n’en dit pas un mot. Devant eux, il nomma toujours le jeune prince : M. le Duc de Bordeaux.

Il n’assista pas aux leçons, mais, le soir, le prince alla le trouver et lui dit :

— Monsieur de Chateaubriand, je désire que vous m’interrogiez sur l’histoire, en voulant bien faire attention qu’à mon âge l’étude de l’histoire porte essentiellement sur des faits.

Il répondit parfaitement à toutes les questions qui lui furent posées, et cette instruction étonna son examinateur.

— Je suis bien aise que vous soyez satisfait de mon savoir. J’ai pu ainsi vous donner une idée de ce que font pour moi ceux à qui mon éducation est confiée. A mon tour de vous interroger.

Avec beaucoup de grâce et d’intelligence, l’enfant fît causer M. de Chateaubriand sur son voyage à Jérusalem. L’auteur de l’Itinéraire, enchanté, s’anima dans ses récits. Le Duc de Bordeaux l’écoutait avec un profond intérêt. Cette très agréable soirée se passa à la satisfaction de tous.

Pendant le séjour de M. de Chateaubriand à Prague, eut lieu le jubilé pour l’exaltation du Pape. A l’exemple de la famille et de son gouverneur, le Duc de Bordeaux accomplit ses devoirs religieux. A cette occasion, les esprits étroits ne manquèrent pas de faire surgir leurs misérables préjugés, dignes tout au plus du misérable Constitutionnel.

— Pourquoi vous occupez-vous de telles niaiseries ? demanda à l’enfant son valet de chambre, homme dévoué mais sans éducation et d’une profonde ignorance, ayant les manières, le ton et la barbe épaisse d’un grenadier.

— Monseigneur, dit de son côté M. de Trogoff, j’aimerais vous voir plus souvent à cheval qu’à genoux.

M. de Trogoff est assurément un royaliste plein de zèle et