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MM. de Trogoff et O’Hegerthy pressèrent Madame la Dauphine de bien accueillir le célèbre écrivain et de pousser la prévenance jusqu’à lui chercher un appartement à Carlsbad.

— Elle m’en parla, me dit la comtesse Esterhazy[1]. Elle craignait de nuire au Roi, en ne faisant pas tout ce qu’on lui indiquait. Je lui déclarai qu’effectivement, si M. de Chateaubriand ne pouvait opérer grand bien, il pouvait causer beaucoup de mal. Il convenait donc de le recevoir avec affabilité. En faveur de ses sentiments actuels, il fallait oublier sa conduite passée ; mais tout a des bornes : il n’était pas dans la dignité de Son Altesse Royale d’entrer dans les détails du logement.

— Vous avez parfaitement raison, répondit la Dauphine. Je ferai pour M. de Chateaubriand ce qu’on m’accuse de ne jamais faire pour ceux qui me contrarient ou que je n’aime pas : je l’écouterai tant qu’il voudra parler.

La comtesse Esterhazy me dépeignit tous ces événements auxquels elle assista. La princesse se montrait fort agitée à la pensée de cette visite et d’un entretien sur un sujet aussi pénible. Tout Carlsbad était en émoi. On savait l’arrivée prochaine de l’écrivain, chacun était curieux de voir les traits d’un homme qui a tant occupé la renommée. Précisément le jour où on l’attendait, les voyageurs affluèrent en grand nombre. Selon l’usage, des fanfares annonçaient le logement des nouveaux arrivants. Aussitôt, toute la population se précipitait, croyant aller au-devant de M. de Chateaubriand. Mais, hélas ! ce n’était jamais lui. La fatigue et le sommeil dispersèrent peu à peu foule et musiciens : aussi M. de Chateaubriand fut-il le seul des voyageurs à n’être pas accueilli au son des trompettes. Il n’apparut que le lendemain matin à six heure§. Pour avoir été suspendus, la curiosité et l’empressement n’en furent pas moindres. M. de Chateaubriand se vit entouré, suivi.

Parvenu chez la princesse, il se montra naturel et très respectueux. Les lettres dont Mme la Duchesse de Berry l’avait chargé étaient écrites au citron, il les chauffa lui-même ; et quand l’écriture eut apparu, il en fit lecture. Le billet à la Dauphine était long de deux pages. Madame n’y disait pas un seul mot de son mariage, n’entrait dans aucun détail sur sa situation. Elle

  1. La comtesse Maria Franziska Romana de Roisins, amie intime de la Duchesse d’Angoulême, avait épousé le comte Nicolas Esterhazy.