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de vous revoir... Toutes les dames viennent chez moi en robe de Cour. Je compte sur votre amitié. M. de Lucchesi sera un excellent serviteur d’Henri V. »

Notre journée à Buchtirad se divise très régulièrement. Les heures de réunion sont exactement fixées ; le reste du temps, chacun est libre. J’ai de fréquents entretiens avec Charles X, je fais parfois une promenade avec le Duc de Bordeaux et je visite Mademoiselle pendant ses leçons de peinture. Si les jeunes princes n’étaient que de simples particuliers, on les remarquerait pour leur esprit, leur vive intelligence, la grâce de leurs manières. Or, à cette impression s’ajoute la pensée qu’on a devant soi les derniers descendants d’une longue suite de rois et de la plus illustre famille de l’Europe. Le Duc de Bordeaux soutiendra bien le rôle que lui réserve la Providence, quel qu’il soit, car il est élevé à ne craindre ni le danger, ni la souffrance. Sa vivacité est charmante, son humeur pleine de gaieté. Dernièrement un cheval lui donna à la jambe un coup de sabot. Cela le contraignit pendant quelque temps à sauter sur un pied pour aller de côté et d’autre, mais cette petite mésaventure ne lui enlevait nullement son joyeux entrain, au contraire.

Je vois ici beaucoup de Français qui viennent offrir leurs hommages à Charles X. On peut sans bassesse courtiser la majesté du malheur. Depuis plusieurs jours, nous avons le chancelier, marquis de Pastoret [1]. Il n’a pas craint, malgré ses soixante-dix-huit ans, d’entreprendre un long voyage pour visiter son Roi. Leur entrevue a été bien touchante.

Dans ses longues conversations avec moi, Charles X me raconte sa vie. Il met dans ses narrations une sincérité entière, j’allais dire une candeur exquise. En effet, le Roi ne montre aucun amour-propre à dissimuler ses fautes et aucune amertume en parlant de celles des autres. Je recueille avec soin tant de précieux souvenirs.


Buchtirad, 22 août.

Le 19, le roi de Saxe est venu à Buchtirad au moment du dîner. Il a l’air très vieux, très cassé. Il portait son chapeau pendu à la ceinture. Ses paroles étaient empreintes d’une affection réelle pour la famille royale. Le 23, Charles X reçut la

  1. Membre de l’Institut, député à la Législative, sénateur en 1809, vice-président de la Chambre des pairs (1821). Administrateur des biens que les enfants du Duc de Berry avaient en France.