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faut passer au médecin certaines curiosités qui s’ordonnent pour le bien du malade.

Prenons, par exemple, son âge qui, tout à l’heure, nous a servi pour établir la nature et la gravité de la maladie : la notion de l’âge est souvent déterminante. Il est maintenant l’occasion d’une pensée très différente.

La maladie est un malheur inattendu pour les jeunes gens, à laquelle les vieillards devraient être préparés. Il arrive cependant que les premiers montrent de la patience et que les seconds en manquent. On dit alors de ceux-ci que leur jeunesse n’est pas morte, et, selon un mot connu, leur « fait toujours du bruit. » Le métier lui aussi est parfois décisif pour le diagnostic de la maladie, comme quand l’homme est marchand de vin sur le comptoir ou manipulateur de pâtes phosphorées. Il s’agit bien de cela maintenant ! La plupart des métiers ne s’accommodent pas de malades. Celui-ci prévoit avec effroi l’obligation de quitter le sien ; celui-là calcule les adaptations qui lui permettront d’en prendre un autre. La différence est grande des deux détresses ; le médecin doit en pénétrer le secret.

Les pauvres disent : « La maladie n’est un malheur que pour nous. » A quoi il n’y a guère à répondre. Cependant, les pauvres se trompent : la maladie est un malheur pour ceux à qui la fortune ôte la patience. Qu’il y a d’humaine vérité dans ce souhait que les mendiants des vallées des Pyrénées adressaient jadis aux touristes en retour d’une aumône : « Que Dieu vous donne la santé ou la patience ! »

Le malade a passé depuis longtemps, sans se marier, l’âge où d’ ordinaire on le fait. Le médecin n’est pas curieux, s’il ne veut en savoir la raison qui souvent se rattache à la médecine. Il n’est pas rare que la maladie ruine le bonheur intime d’un jeune foyer. L’accident est banal, grossier, ne nous arrêtons pas. Assez souvent la maladie d’un des conjoints exalte l’amour de l’autre, mais une souffrance inattendue est réservée au malade. Il sent peu à peu que la pitié se mêle à la tendresse des soins qu’il reçoit ; c’est une humiliation cachée, très douloureuse, tant l’amour est jaloux de n’inspirer qu’un sentiment semblable à lui-même.

La maladie chronique demande du courage, de la fermeté d’âme. Le premier est intermittent comme l’héroïsme : l’autre est un courage continu, plus rare, plus précieux : ni l’un ni