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de Port-Royal, dont il voulait avoir l’entière révélation. Dans certaines pages, sa pensée semble prendre à son compte celle du jansénisme pour la mettre au clairet au point, pour l’achever. Par une sorte de mimétisme, l’historien se confond avec ceux dont il conte l’histoire : peut-être a-t-il parfois l’illusion d’être l’un de « ces Messieurs, » un de ceux entrés dans la solitude après une expérience pratique des hommes, comme M. Lemaitre, l’avocat, ou l’admirable M. Hamon, le médecin. Il faut aimer les choses que l’on veut connaître. L’intelligence n’a toute sa force de pénétration que portée et poussée par l’amour :


Car l’homme est sans amour impuissant à comprendre.


Beau vers, dans lequel l’un des nôtres, le professeur Ch. Richet, a mis une fleur de la pensée platonicienne. Notez que les âmes religieuses sont très sensibles à cette forme de curiosité ; comme elles cachent toujours le besoin de se répandre, un désir de prosélytisme, elles y voient un moyen de réceptivité, une aisance, un flirt ; elles s’attendrissent, s’ouvrent, se livrent.


On n’évoque pas chaque jour le souvenir de Platon à propos de la conversation médicale, dont le devoir s’impose avec tous les malades : moyen d’investigation, elle fait encore partie du traitement, sur quoi il y aurait beaucoup à dire, que nous ne dirons pas aujourd’hui. Elle n’est pas toujours possible, ni facile, ni surtout agréable. Mais nous ne comptons pas avec les difficultés et les répugnances. Le malade, quel qu’il soit, reste aimable à nos yeux : il ménage à notre esprit la joie du problème que l’on résout, à notre cœur celle du bien que l’on fait. Il est la raison de notre vie spéciale, lutte incessante, batailles perdues et gagnées, jours de dépression et de triomphe, minutes terribles, d’autres exquises, tout l’extrême de l’émotion humaine, plus dramatique pour les chirurgiens et qui, selon la remarque très fine de l’un d’eux, le professeur J. L. Faure, n’est peut-être supportable qu’à cause de sa diversité même. Nous aimons le malade et pour cela nous le séparons avec soin de l’homme et du client. L’homme peut être méchant, odieux, criminel ; le client détestable par ses mauvais procédés et son ingratitude. Sachons bien voir ce que valent l’un et l’autre et au besoin défendons-nous.