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Au temps où Louis XIV donnait, en l’honneur de Mlle de La Vallière, les fêtes galantes de l’Ile enchantée, quatre jeunes Parisiens dont l’amitié, comme disait l’un d’eux, s’était formée sur le Parnasse, Polyphile, Acaste, Ariste et Gélaste, s’en vont passer une journée à Versailles, nouvellement transformé. Ils visitent le château, la Ménagerie, les jardins, s’arrêtent de temps en temps pour écouter un poétique récit de Polyphile. Vers le soir, après avoir joui de la fraîcheur d’une grotte, ils s’asseoient sur le gazon, et Polyphile achève sa lecture, cependant que le soleil, par delà les futaies, s’abaisse lentement à l’horizon. « Je vous prie, dit Acaste, de considérer ce gris de lin, cette couleur Aurore, cet orangé, et surtout ce pourpre, qui environnent le roi des astres. Il y a longtemps que le soir ne s’était trouvé si beau ». Oui, mais si je ne suis pas Acaste, et Acaste, — ôtez votre chapeau, — c’est Racine lui-même, causant avec Molière, Chapelle et La Fontaine, qui vient de raconter à ses amis les aventures de Psyché, si les mots me manquent, si les ressources du verbe me font défaut, il ne restera rien de ma pensée, rien qui puisse être communiqué à mes semblables, rien qui puisse prendre place dans ma conscience, devenir aliment et provision de mon esprit. Mon esthétique aura été le plus évanescent des phénomènes, et aussi le plus inutile.


Ainsi la réunion de quatre couleurs éveille en nous un ordre de pensée tout différent, selon qu’on les considère sur la plaque de verre d’un laboratoire ou dans la lumière du soleil qui se couche. Partout, dans l’univers, matière et vie, quantité et qualité coïncident, chacune réclamant une application spéciale de l’esprit. Dans le coin misérablement petit de cet univers, que représente un cas clinique, toute une matérialité, résolue par la science, est support d’une autre réalité qui ne saurait l’être, celle ci pure et fluide qualité, du moins jusqu’à nouvel ordre, et qu’on ne peut retenir qu’à l’aide d’une fine notation des nuances. Voyez cet artério-scléreux sur lequel la science nous donne de nombreuses précisions, avec chiffres à l’appui ; mais il reste une foule de choses qui n’acceptant pas cette mesure, telles que la fatigue générale du malade, la forme de son insomnie, son inquiétude morale, ses souffrances diverses, qui font cependant partie de la maladie, aussi bien que la tension