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est intuitif. L’intuition est une prise directe et immédiate de l’âme sur la réalité, une pénétration, une communion, mais qui n’a de valeur pour l’esprit qu’à partir de l’expression qui la recueille. Inexprimée, elle est comme si elle n’était pas. Tout autre est la prise intellectuelle, d’emblée pensée claire et discours intérieur, du même coup, moment de notre conscience. Beaucoup d’intuitions dorment en nous, attendant de voir le jour, qui ne le verront jamais : l’expression a manqué. Parfois l’intuition éclate chez l’homme d’action, par exemple le soldat, dans un geste qui décide d’une bataille ; chez le peintre, dans un coup de pinceau qui met une âme sur un visage ; chez l’ouvrier, dans une soudaine improvisation des doigts inspirés. Mais le langage reste l’expression la plus ordinaire. Il est probable que l’intuition nous est assez également départie et que notre très grande inégalité ne commence qu’au verbe. Ainsi s’explique que la lecture nous donne si souvent l’illusion d’avoir pensé ce que nous lisons : l’auteur, mieux doué que nous, nous révèle nos propres intuitions. On songe à la pensée célèbre : « Le livre le meilleur est celui que chaque lecteur croit qu’il aurait pu faire. » Il reste que l’esprit intuitif ne saurait s’accommoder de l’indigence du langage et que la force de l’un est commandée par la richesse de l’autre.

Or, l’esprit de finesse est particulièrement intuitif en clinique pour une raison très simple. L’état de santé est un équilibre parfait dans un ordre logique : notre pensée claire est un miroir de même ordre, qui doit sans effort et avec succès s’appliquer à l’autre. Mais voici la maladie qui détruit l’équilibre et trouble tout. Les éléments morbides agissent et réagissent les uns sur les autres, se combinent, se pénètrent, se représentent de mille manières : on dirait la surface dormante d’un étang, sur laquelle la pluie en tombant détermine des ondes qui naissent, se propagent, se rencontrent, s’interfèrent et produisent une agitation inexprimable. Telle est la maladie qui est vie, mais trouble et confusion de vie. Comment notre esprit clair, grand géomètre, s’y pourra-t-il reconnaître ? Il y faut la souplesse infinie de l’esprit intuitif.

Le langage de l’esprit de finesse, qui est, comme on l’a vu, le langage littéraire, tient une grande place dans le discours médical : outre les parties auxquelles il s’applique très légitimement, on le voit s’étendre par abus aux autres qui, relevant de