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« J’entends, dira le lecteur, que vous me souhaitez un bon clinicien. Fort bien : mais le moyen de le reconnaître ? » Il est vrai que cela n’est pas écrit sur le visage, ni même sur les titres, encore que beaucoup aient grande valeur. Voici cependant quelques suggestions. Et d’abord, quelle que soit la science reconnue, incontestée de votre médecin, méfiez-vous s’il vous parait très légèrement, si peu que rien, crédule et naïf. Science et naïveté vont parfois de compagnie. Nous lisons à chaque page de nos livres que la maladie est insidieuse : ne faut-il pas que le médecin soit d’esprit dégourdi ? Méfiez-vous encore si l’on vous dit : « Ah ! l’excellent médecin, supérieur, même rare, mais hors de son métier bon à rien. Il a bâti sa maison et dirigé l’éducation de ses enfants : il y a du guingois dans l’une et aussi dans l’autre. S’il met son argent dans une entreprise, il n’est pas rare qu’elle soit chimérique. Il conduit son champ et taille sa vigne de manière à faire sourire ceux qui s’y connaissent. » On peut être un bon géomètre, et nul pour tout le reste, de même bon peintre, mais non pas médecin, et cela pour des raisons où l’on achèvera de voir ce qu’il faut panser de l’esprit clinique. Sans doute, il est avant tout et principalement esprit de finesse, auquel s’ajoute un certain tour pratique de la pensée, la souplesse, la mesure, le bon sens, surtout le bon sens, qui n’est en somme qu’une forme de la finesse. Cet esprit-là n’est pas spécial à la médecine ; il s’applique aux objets les plus divers, toujours avec succès. Sa vraie marque est le succès, marque heureuse entre toutes.

Et tout cela n’est pas rare. De quoi le lecteur sera fort satisfait, se sentant assuré que, s’il tombe malade, il a beaucoup de chances d’être bien soigné. C’est la vérité même. Quant aux médecins, les uns, — de beaucoup les plus nombreux, — doués de l’esprit clinique ne nous sauront pas mauvais gré d’avoir dit à quels signes on peut présumer qu’ils l’ont ; les autres sans doute ne protesteront pas dans la crainte de passer pour ne pas l’avoir.


Dr EMMANUEL LABAT.