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et, à tous les carrefours de la ville, à son de trompe, les crieurs publics proclamèrent : « Que nul ne fut assez osé que d’aller à Saint-Laurent, par dévotion ni pour nulle marchandise, sous peine de la hart » [1]. La hart !... Chacun préféra obéir et la fête se célébra à huis clos, dans la cour de l’abbaye de Saint-Martin (emplacement du Conservatoire des Arts et Métiers, dont la bibliothèque occupe l’ancien réfectoire des religieux) « à grand foison de peuple, — dit un témoin, — mais nulle marchandise ne s’y vendit, sinon fromages, œufs et fruits selon la saison [2]. »

La Pucelle approchait ; à Compiègne, elle manda le jeune prince du sang qui se faisait gloire d’exécuter ses ordres, le duc d’Alençon : — « Mon beau duc, lui dit-elle, faites apprêter vos gens et ceux des autres capitaines. Par mon Martin, je veux voir Paris de plus près [3]. »

Ayant quitté Compiègne sans que le Roi, attardé en d’incompréhensibles séjours, consentit à la suivre, la Pucelle, le 26 août, se rapprochant encore de Paris, reçut la soumission de la ville de Saint-Denys. Elle s’y logea et répartit son armée dans les villages environnants, sur un front face à la grande ville, de Montmartre à Aubervilliers.

Dès lors commencèrent entre ses gens et les Anglo-Bourguignons de quotidiennes escarmouches, « tantôt dans un lieu, tantôt dans un autre, — dit un témoin, — parfois au moulin à vent entre la porte Saint-Denys et le village de la Chapelle [4]. » Ce moulin dressait ses ailes mouvantes sur la crête militaire du plateau qui, depuis le point culminant de la Chapelle, descend, par de légères ondulations, vers Paris, à peu près à l’endroit où, aujourd’hui, le haut de la rue du faubourg Saint-Denis atteint le boulevard extérieur.

De là le regard embrassait le magnifique panorama de la ville, de ses îles et de toute la vallée de la Seine, depuis le récent château de Winchester (Bicêtre) jusqu’aux hauteurs boisées de Meudon

  1. Journal d’un bourgeois de Paris. Édit. A. Tuetey. Société de l’Histoire de Paris, in-8, 1881, p. 243.
  2. Ibid.
  3. Chronique de Perceval de Cagny. Ayroles, III, p. 120. Cette chronique a été publiée par M. Moranville pour la Société de l’histoire de France.
  4. Chronique de Perceval de Cagny. Ayroles, III, 190.