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l’armée contre toute attaque de flanc. Le succès donc était certain,

Hélas ! Quand, pleins d’espoirs, la Pucelle et le duc d’Alençon s’approchèrent du fleuve, quel douloureux spectacle les attendait : plus de pont ! le Roi, durant la nuit, l’avait fait mettre à bas [1] !

Le 13 septembre, le Roi donna l’ordre du départ. « Quand la Pucelle, — conte un de ses plus fidèles compagnons, — vit qu’elle ne pourrait trouver aucun remède à son départ, elle déposa tout son harnois complet devant l’image de Notre Dame et les reliques de l’abbaye de Saint-Denys, puis, à son très grand regret, elle se mit en la compagnie du Roi qui s’en revint le plus rapidement qu’il put, et parfois faisant son chemin d’une manière désordonnée et sans cause. Le mercredi 21e jour du dit mois, il fut dîner à Gien-sur-Loire. Ainsi fut rompu le vouloir de la Pucelle et fut aussi rompue l’armée du Roi [2]. »

En se séparant de ses armes pour les consacrer à Saint Denys, ne semble-t-il pas que, déjà, tristement, Jeanne sentait sa mission divine brisée par la volonté des hommes ?

« Quelles armes, — lui demanda-t-on l’année suivante, au procès où tout lui fut imputé à crime, — offrites-vous à Saint Denys ? — Un blanc harnois entier, tel que le porte un homme d’armes... — A quelle fin les offrites-vous ? — Ce fut par dévotion, ainsi qu’il est accoutumé par les gens d’armes quand ils sont blessés... Je les offris à Saint Denys parce que c’est le cri de France [3]. »

Durant cette lamentable retraite vers Gien, Jeanne souffrait cruellement, non plus de sa blessure, — elle était guérie, — mais des défaillances du Roi : « La voix, a-t-elle encore déclaré à son procès, me disait de rester à Saint-Denys en France ; je voulais y rester ; mais, contre ma volonté, les seigneurs m’ont emmenée. Si je n’eusse été blessée, je ne me fusse jamais éloignée. Je fus blessée dans les fossés de Paris... Mais je fus guérie en cinq jours [4]. »

En sa « course désordonnée, » le Roi arrivait sur la Loire : voulait-il donc, anéantissant l’œuvre de la Pucelle, redevenir ce qu’il était quatre mois auparavant : le Roi de Bourges ? Miraculeusement

  1. Perceval de Cagny. Ayroles, III, 192.
  2. Ibid., 193.
  3. Ayroles, IV, 72.
  4. Interrogatoire au procès. Ayroles, IV, 67.