se serre contre son fils, un petit collégien, qu’il enveloppe d’un regard où l’on sent toute l’angoisse de l’adieu prochain.
A la gare de Dachstein, le compartiment est envahi par une vingtaine de soldats bavarois et aussitôt l’un d’eux, en avisant sur la voie un grand train chargé de canons qu’on expédie vers Saales, dit : « Ça c’est pour MM. les Français ! Des bêtises ! N’empêche que nous autres Bavarois nous aimerions mieux être Français que Prussiens. Avec les Français nous aurions aussi de quoi vivre ! » Et il continue sur ce ton sans qu’aucun de ses compagnons fasse mine de le contredire.
Je déjeune à la Robertsau chez Georges avec Doyen et le docteur Sieffermann, les fidèles du vendredi. Le docteur s’enfonce après le café dans la lecture d’un Temps du mois de juillet, qui relate les fêtes qu’on a données à Paris à propos du Centenaire de la libération de l’Amérique. Doyen me pousse du coude pour me faire remarquer de grosses larmes que la lecture du journal arrache à notre vieil ami. Tout à coup, il jette son journal et se mouche à grand bruit. « Je crois, ma foi, que je pleure. Mais c’est qu’il est rudement bien, le discours de l’ambassadeur des Etats-Unis ! » Et s’étant remis de son émotion, il est tout guilleret et fredonne de vieilles marches françaises. Tout le monde est enchanté de la tournure des événements, et l’on cite un propos que, lors d’un dîner officiel, Falkenhausen a échangé dernièrement avec Hindenburg : « Eh ! bien, mon petit Hindenburg, au front de l’Ouest, c’est tout de même autre chose qu’au front de l’Est ! » La conclusion est que les Allemands sont irrémédiablement perdus. M. M. est revenu ces jours-ci de Berlin : les représentants de la haute banque et de l’industrie conviennent maintenant que c’est la faillite et qu’elle prendra les proportions d’un désastre sans précédent dans l’histoire. Et il n’y aura personne pour les plaindre ! Nous nous délectons de leur déconfiture prochaine : c’est notre revanche à nous autres Alsaciens ! Il n’y a qu’une ombre au tableau : c’est la nouvelle de l’évacuation de la ville de Metz.... Nous nous rappelons les sourdes menaces qu’on pouvait de temps à autre lire dans les journaux : avant qu’ils ne redeviennent Français, on ferait payer cher aux Alsaciens cette satisfaction ! Je crois que, se sachant perdus, ils hésiteront tout de même à allonger la note déjà passablement corsée des frais : dévastation de la Belgique, de la France, tonnage coulé, etc.