approximative de cinq semaines. Jeanne leur dit en riant : « J’espère que vous n’allez pas livrer bataille par ici. Vous n’allez pas nous faire évacuer ? — Pas de danger ! La paix sera là avant que vous ne vous en doutiez. »
Après leur départ, tout le monde est d’accord pour les trouver beaucoup plus sympathiques que les Allemands que nous avons eus jusqu’à présent.
Mon neveu Maurice est venu passer quelques jours de congé avec nous. Il nous dit qu’à Carlsruhe, où il est pour le moment en garnison, les officiers racontent que l’offensive sur Château-Thierry avait été insuffisamment préparée, et que cet échec a fortement compromis la réputation de Hindenburg et de Ludendorff.
23 septembre. — ... Un bruit de ferraille sur la route attire notre attention. C’est la division hongroise qui arrive. Les hommes, pour s’abriter de la pluie qui tombe en ondée, ont mis leur Sturmhauben sur la tête, et n’en paraissent pas plus crânes. Défilé interminable, dans lequel il y a surtout des voitures de toutes formes, des troupeaux de vaches, des cochons, des mulets, on dirait la migration d’une tribu nomade. Les officiers à cheval ont l’air plus fringant. Mais quand ils lancent un commandement, ce n’est pas avec cette voix de coq qu’affectent les officiers prussiens. A vrai dire, on n’entend rien : tout ce monde est silencieux, comme si la pluie l’avait figé. Si l’on pouvait deviner leurs pensées !
Je rentre dans la maison pour veiller au grain, car nous attendons nous-mêmes deux sous-officiers. Je les trouve en train de parlementer avec la bonne : l’un d’eux, un noir, parlant allemand, me dit être de son métier valet de chambre ; l’autre, un roux, sourit toujours et ne parle que le hongrois. — Vous venez pour nous affamer ! leur a dit la bonne en guise de bienvenue.
— Nous avons bien vu qu’en ce pays non plus les vivres n’abondent pas : c’est comme en Roumanie d’où nous venons. La Hongrie, elle, est un pays riche, et nous ne connaîtrions pas le besoin, si nous n’avions pas été forcés d’approvisionner l’Allemagne.
24 septembre. — Nos deux hommes sont d’une discrétion rare : on ne les entend pas. Le matin, pour ne pas réveiller la maison, ils ont descendu les escaliers pieds nus.