prend pas au sérieux. Une demi-douzaine de meneurs, un couteau de poche à la main, guettent tout ce qui porte un uniforme et en un clin d’œil, ils décousent les cocardes et les épaulettes. Les victimes se prêtent en riant à cette opération. Pourtant, l’un ou l’autre rouspète et a le sentiment de subir une-dégradation. Mon ami V. vient à moi : « Il me semble qu’il serait temps que les Français arrivent. Pour le moment, ce n’est encore que de la comédie, mais il n’est point dit que cela ne tournera pas à la tragédie. Déjà ils défendent aux voyageurs de quitter la ville et arrêtent les trains... »
On fait queue au guichet, donc on peut voyager ; mais au moment où je veux prendre mon billet, un jeune soldat fend les rangs et apostrophe l’employée : « Le Conseil des soldats vous donne l’ordre de fermer votre guichet. On ne voyage plus ! » La demoiselle, sans tenir compte de l’injonction, continue sa distribution en haussant les épaules. Les Alsaciens, qui savent que déjà les Français sont en route, considèrent cette révolution comme une mascarade, une dernière bêtise venant s’ajouter à bon nombre d’autres. Aussi le soldat se défile, de peur qu’on ne lui fasse un mauvais parti.
Je voyage avec le fils de l’instituteur d’O. et quelques Allemands. L’un de ces derniers, qui lit la Gazette de Francfort, se mêle à notre conversation qui a trait à la révolution : « L’Allemagne est perdue, nous dit-il, mais les autres auront aussi la révolution : car elle est l’œuvre d’une vaste conjuration qui étend ses ramifications sur le monde entier, c’est ce qui explique la rapidité avec laquelle elle s’est établie. — Malgré tout, dit un Alsacien, il est incompréhensible que des généraux, des officiers supérieurs se soient laissé intimider par quelques voyous, car ils sont très peu nombreux à Strasbourg, les délégués des Soviets. — C’est vrai ! Mais nos officiers avaient eu l’ordre de Berlin de ne pas faire opposition. A la station de Holzheim, entre un officier ; il nous dit qu’il revient de Metz. Là aussi ils ont constitué un soviet, mais c’est un commandant qui est à la tête, les officiers exercent la police, tout marche comme par le passé, sauf que cela porte un autre nom. Du reste, pour me rendre compte de la mentalité de nos hommes, j’ai exprès voyagé en troisième ce matin, j’ai pu m’entretenir avec les soldats et je dois dire qu’il m’ont traité avec respect : ce qu’ils disaient était très raisonnable. Ils sont surtout mécontents de