volontiers, et ainsi fit-il. Quand le sire des Hassissins sut que le comte venait, il alla à sa rencontre, et le reçut avec grande joie et de grands honneurs, et le mena par son pays et en ses châteaux, jusqu’à ce qu’il vînt un jour devant un château. Dans ce château était une haute tour, et sur chaque créneau étaient deux hommes vêtus tout de blanc. Le sire des Hassissins lui dit : « Sire, vos hommes ne feraient pas pour vous ce que les miens feraient pour moi. — Sire, dit-il, cela pourrait bien être. » Le sire des Hassissins cria, et deux des hommes qui étaient sur la tour se laissèrent aller en bas et se brisèrent le cou. Le comte s’émerveilla beaucoup et dit que vraiment il n’avait pas d’hommes qui fissent cela pour lui. Celui-ci dit au comte : « Sire, si vous voulez, je ferai sauter en bas tous ceux que vous voyez là-dessus. » Le comte répondit que non ; et quand le comte eut séjourné autant qu’il lui plut au pays du Vieux, il prit congé pour s’en aller. Le sire des Hassissins lui donna une grande abondance de ses joyaux, lui fit escorte jusque hors de son pays, et lui dit que, pour l’honneur qu’il lui avait fait d’être venu, il s’assurât qu’il était pour toujours à lui, et que s’il était aucun seigneur qui lui fit chose dont il eût déplaisir, il le lui fit savoir, et qu’il le ferait occire ; puis ils se séparèrent… »
Un tel tableau, ce n’est pas simplement une anecdote dramatique, une belle image. C’est une heure exacte de la vie de Rashid-eddin Sinan dans quelqu’un de ses châteaux, dans EI-Khaf, je crois. Il y a un esprit là-dedans, quelque chose à comprendre. Cela présente le cœur humain sous un aspect nouveau et inconnu. C’est vraiment une fleur saisissante de cette civilisation de l’Orient, héroïque et malsaine, avec ses étranges moyens pour multiplier les énergies intérieures. Ici nous voyons un maître qui possède un secret pour disposer de la vie que ses affiliés lui sacrifient joyeusement, et des hommes incomparables par leur loyalisme et leur faculté de sacrifice complet. Sur cette simple anecdote, n’êtes-vous pas disposé à penser que, dans cette région des Ansariés, où nous allons nous promener, s’est vraiment déroulé un des plus beaux romans intellectuels du monde ?
D’une telle histoire, mieux on sait les chapitres, plus elle est excellente. L’amitié de Hasan Sabâh, le criminel fondateur de cette confrérie des Assassins, avec Omar Khayyam, le grand