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Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 15.djvu/330

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de 1864 ouvre la marche du cortège des vétérans de 1870, dont le doyen, mon ami Schmidt-Nandel, à cheval, enguirlandé et enrubanné comme un jeune conscrit, représente bien l’immuable attachement de la race alsacienne par l’expression de son masque énergique aux traits anguleux. La figure rasée, le nez en bec d’aigle, le menton fendant, il est coiffé d’un chapeau haut de forme, orné de longs rubans tricolores qui flottent au vent. Mais ce qui attire surtout l’attention, c’est une espèce de banderole portée en écharpe, et qui n’est autre chose qu’un chapelet de lanternes vénitiennes rouges, bleues et blanches pliées en forme de crachat d’un effet prestigieux. Vient ensuite, juché sur un petit cheval, un charmant gosse, habillé en spahi, la chéchia rouge crânement rejetée sous la nuque. Ces personnages sont entourés par un flot de populo et précédés par des farandoles d’Alsaciennes qui, se donnant la main, prennent toute la largeur de la rue : leurs attifements un peu carnavalesques égayent de leurs couleurs rouges et bleues la sombre tâche des habits noirs et des gibus de forme antédiluvienne qui recouvrent les chefs des graves bourgeois de la ville. En regard de ces redingotes solennelles mon simple veston bleu me fait un peu honte.

Cependant le cortège officiel vient de tourner le coin et avance vivement aux sons de la Marseillaise. Je n’ai pas le loisir de le passer en revue, car déjà on entend de toutes parts des cris : Sie kommen, sie kommen ! Ils viennent ! et déjà la foule entoure des cyclistes militaires qui, casque en tête, et le front baigné de sueur, sautent vivement en bas de leurs bécanes. Je sens une émotion me serrer le cœur. Une commotion électrique vient de traverser la foule au moment où apparaît, comme un nuage au-dessus des têtes, ce fameux bleu horizon, tant cité dans les livres de guerre et que nous n’avons jamais vu ! Parbleu ! ce sont eux ! Deux officiers à cheval précèdent, coiffés du casque plat, ce casque que, sur les photos, je trouvais un peu donquichottesque. Pas du tout ! II est très seyant et très crâne. Graves et émus, les deux officiers saluent de leur épée le vieux drapeau tricolore que la ville d’Obernai a précieusement conservé, en dépit des règlements.

Le cortège a fait volte-face et s’est remis en mouvement, suivi par l’escadron du 13e hussards. L’enthousiasme de la foule touche au délire : on serre les mains des hussards qui, l’air bon