notre cocher ne peut plus avancer qu’au pas. Enfin nous voici devant la « Vignette. » Cet antique et vénérable hôtel qui florissait au temps des diligences, et qui a hébergé Goethe, n’a plus vu depuis longtemps des voyageurs venus en guimbarde, et mon ami le père Noth est légèrement ahuri de voir si nombreuse société dégringoler hors de notre Léviathan ; son hôtel est bondé, et il en perd presque la tête. Les autos ne cessent de déverser des voyageurs en quête d’un gîte, et le personnel de l’hôtel, qui ignore le français, est à tout instant obligé de demander des explications aux habitués alsaciens qui font office d’interprètes. Amusant défilé de voyageurs, pour la plupart des officiers de tout grade et de toute arme ; nous nous appliquons à débrouiller les signes distinctifs des grades, décorations, fourragères, etc., qui nous sont absolument étrangers. Il y a aussi des Anglais, des Américains, puis des dames de la Croix-Rouge, la plupart très distinguées, mais d’autres fardées et poudrées et d’allure étrange, du moins à nos yeux novices de provinciaux. Deux de ces dames, au profil sémite, s’informent auprès de Mme Noth si, à sa connaissance, il y avait encore à Strasbourg des parents du père Ratisbonne.
Le père Ratisbonne ! cela nous reporte assez loin en arrière, et la bonne Mme Noth n’a pas l’air de savoir quel est ce personnage dont pourtant la conversion fit autrefois tant de bruit. Je m’empresse de venir à son secours, et j’envoie ces dames au vieux chanoine Schickelé, qui, je crois me le rappeler, a publié un livre sur le fondateur de Notre-Dame de Sion…
Nous avons hâte d’arpenter la ville pour savourer la première impression d’un Strasbourg français. Toute la population est dans la rue, et tout le monde a l’air content, chacun porte la cocarde tricolore, et l’on n’entend plus que le français. Je me demande ce que sont devenus les 50 000 Allemands qui, d’après la statistique officielle, habitaient Strasbourg : on n’en voit plus ; disparus ou bien transformés en bons Français, ou tapis au fond de leurs appartements. Dans la rue de la Haute-Montée, dans la rue de la Mésange, l’animation est si extraordinaire, les autos se suivent à une allure tellement rapide que la circulation est presque impossible. Le Fürstenhof, redevenu Ville de Paris, attire l’attention par la quantité et la variété de ses drapeaux, par ses illuminations aux couleurs françaises, et chacun de se dire : « Nos rues manquaient de couleur bleue, c’est pourquoi