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Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 15.djvu/349

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récompense on nous abandonne, je l’aimerai quand même. Si j’étais plus vertueux, je verrais Dieu, qui permet ce qui nous épouvante. » Et le Frère Évagre, rasséréné, se libérait de ses épouvantes par un labeur nouveau, et ce labeur fructifiait [1].


IV

M. Maurice Pernot, envoyé dans le Levant, en 1912, par le Comité des intérêts français en Orient, pour étudier la situation des établissements scolaires protégés par la France, arrêtait volontiers ses regards sur les classes d’attardés, créées dans plusieurs collèges de Frères pour les enfants qui avaient fait leurs premières études dans les écoles ottomanes, et qui, à leur entrée chez les Frères, ignoraient le français. A plusieurs reprises, dans le rapport qu’en 1913 il publia, M. Pernot fit mention des ingénieuses méthodes qui permettaient à ces arriérés de rejoindre sans beaucoup de retard le reste de leurs camarades [2]. Ce détail est significatif, il nous révèle et nous définit l’allure générale de l’enseignement, dans une classe de Frères, en Orient. L’étude du français y est quelque chose de plus et même beaucoup plus qu’un article du programme ; elle encadre, elle domine tout le fonctionnement de la classe ; elle crée et maintient une atmosphère ; on n’est pas effectivement l’élève des Frères, si l’on ne se familiarise avec le parler français comme avec une langue vivante et quotidienne. Les enfants des écoles primaires de Beyrouth, — M. Pernot s’en est rendu compte, — parlent couramment le français dès la fin de la première année scolaire ; au collège de Tripoli, des écoliers qui n’avaient encore que cinq mois d’études récitaient à l’un de nos généraux les fables de La Fontaine. Ce qui distingue, dans la société du Levant, l’ancien élève des Frères, c’est que ses lèvres savent maîtriser notre langue, et que son cœur est docile aux inspirations qui viennent de France. Le substitut du conseiller khédivial écrivait un jour au Frère assistant chargé des écoles d’Égypte : « Plusieurs de vos élèves m’ont dit que, grâce à vous, ils en arrivaient à penser en français. »

  1. Notices nécrologiques de l’Institut des Frères, no 48, p. 126-156. René Bazin. Croquis de France et d’Orient, p. 388-392.
  2. Pernot, Rapport sur un voyage d’étude à Constantinople, en Égypte et en Turquie d’Asie (Janvier-août 1912, p. 9 et 257. Paris, Didot, 1912).