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mais à la même date, le Duc d’Orléans ne paie ses chemises que 45 francs ; celles d’un conseiller au Parlement, d’un intendant de Guyenne ou de sa femme coûtaient 24 francs, celles d’un laquais 15 francs, celles des paysans et des domestiques de ferme de 4 à 7 francs.

Comparé aux salaires, aux gages d’une servante à 80 francs par an, le linge était fort cher ; bien que certains étrangers le trouvassent meilleur marché en France que chez eux : « Il est très avantageux aux voyageurs d’en acheter, écrit le docteur Smollet en 1763 ; j’ai fait provision de chemises à Boulogne (sur-Mer) à moitié prix de ce qu’elles auraient coûté à Londres. »

Au corps de ces chemises, à celles du moins des classes fortunées, la mode ajouta pour les deux sexes des ornements d’un prix souvent dix fois supérieur au principal : la simple paire de manchettes en mousseline unie avec effilé se payait 22 francs sous Louis XVI ; 40 à 50 francs la cravate de mousseline fine d’un magistrat parisien ou d’un avocat, sous la Régence. La même, « à brides, » avec une paire de manchettes garnie de dentelles, 315 francs. En point d’Argentan ou d’Angleterre, les manchettes reviennent, pour un seigneur élégant, à des 700 et 800 francs la paire. Dans les comptes du duc de Penthièvre, en 1772, il s’en trouve de 1 000 et 1 200 francs ; ’ le lord maire de Londres payait les siennes 630 francs en 1793. Sous Louis XIV, Gourville nous parle de « rabats de dentelles, » que l’on jouait aux cartes en guise d’argent et qui valaient en moyenne 2 600 francs chaque. Mme de Puysieux, née d’Estampes-Valençay, dont Tallemant dit, avec assez de fondement, « qu’elle avait des ragoûts en mangeailles que personne n’a jamais eus, » ne jouait pas ses dentelles... ; elle les mangeait pour s’amuser. Saint-Simon contait qu’« elle rongea entre ses dents en une seule année pour 50 000 écus, — 525 000 francs, — de point de Gênes à ses manchettes et à ses collets, qui était lors la grande mode. »

La dentelle, sans aller jusqu’à la manger, était devenue, pour qui se bornait à en orner le tour de son cou et de ses bras, une somptuosité assez onéreuse pour que le Gouvernement ait songé, dès le règne de Louis XIII, à en prohiber l’usage : le prix de ce point coupé, disait-on en 1626, « est monté à tel excès que les familles en éprouvent un grand préjudice, en ce que lesdits ouvrages, qui sont inutiles et ne durent point, épuisent le