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Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 15.djvu/483

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moins à faibles renflements. Nous roulons à travers les cimetières qui entourent la ville, puis sur une voie antique, bordée de puits et de tombeaux. Quelques troupeaux ; de curieux bédouins ; matinée virginale et pure. Nos gendarmes, sur leurs chevaux tout frais, font de la fantaisie. Tout est neuf, salubre, et nous remplit de bienveillance.

J’ai lu dans un vieux récit qu’à deux heures de marche de Hama, je devais passer dans un lieu appelé Tell-Afiyun, ce qui veut dire la montagne de l’Opium. Un tel nom fait rêver celui qui va chez les Hashâshins, et semble un signe posé sur la route. Mais j’ai vainement demandé que l’on me fit voir Tell-Afiyun.

À Tell-Afar, où la chaleur commence, nous montons à cheval. Parcours monotone et agréable, à travers une succession de petites vallées qui, peu à peu, deviennent plus accidentées.

Si j’avais écrit ce chapitre en 1914, au lieu d’être obligé d’en ajourner la rédaction à 1923, alors que bien des images sont embrumées dans mon esprit, et recouvertes par huit années qui nous ont, tous, fait vieillir si fort, je n’aurais pas manqué de vous décrire en détail notre caravane : M. Chapotot, le père Colangette, de la Faculté de médecine, l’Arabe Ladki Bey et les muletiers. Mais tout s’est évanoui. Seul, Masyaf demeure, et ce battement de mon cœur, quand la sombre ruine se détacha, au loin, par-dessus le désert pierreux, et plaquée aux montagnes… Walter Scott raconte qu’un roi d’Ecosse, voyant un château fort, situé dans un sinistre entonnoir, au milieu d’un marais, s’écria : « Celui qui l’a bâti devait être brigand au fond du cœur ! » Et moi, je songeais : « Je n’ai pas perdu ma journée ; je n’ai pas perdu mon voyage. Une fois de plus, sur des récits bien incomplets, j’ai pressenti la réalité, je me suis annoncé l’étoile qui me ferait plaisir ; une fois encore, un gibier rare s’est levé dans le sentier de ma vie… » Dans un sentier terriblement pétré ! Je n’imaginais pas que des montagnes pussent fournir de tels lits de rocailles roulantes ! Sur cet immense cailloutis, nous nous acheminons, avec les attardements d’un amour qui, maintenant, est assuré que son objet ne lui échappera plus.

Longue et lente procession de notre caravane, pour approcher de la superbe ruine, — à demi entourée de marais, et soulevée par son esprit romantique sur des rochers presque verticaux, au pied même des montagnes, dont elle n’est séparée que par l’étroit petit village.