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Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 15.djvu/500

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lui. Beaucoup bafouaient sa boiterie. D’Alamout, où son ami d’enfance Hassan Aladhikrihis-Salàm était mort, on cherchait par tous les moyens à l’affaiblir, voire à l’assassiner ; Avec une activité infernale, il déjouait tous les complots et réconfortait tous les doutes. Des savants et des jurisconsultes venaient du Caire, de Damas, de l’Iraq, de Bagdad disputer avec lui. Il les réduisait au silence, « non par la science de la magie, mais bien par la force de la vérité et de la conviction, par son savoir, et par l’utilisation qu’il faisait des versets du Coran. » Il savait parler. Il était de ces génies dont la parole tombe de haut, comme du ciel, et s’élance sur les êtres avec une vertu surhumaine. La grande affaire, pour celui qui veut agir sur les hommes, c’est de savoir disposer autour des âmes, dans la chambre secrète, dans le sanctuaire profond où vit chacune d’elles, un jeu de tapisseries qui le rende maître des humeurs, des rêves et des actes où se prolongent les rêves. Les images auxquelles Sinan recourait avec le plus de succès se rapportent à la transmigration des âmes. Ceux qui déniaient son pouvoir devaient, après leur mort, revivre dans un corps d’animal. cette perspective terrifiait les Ismaéliens et les Nosseïris.

Un jour qu’il cheminait de Qadmous à Masyaf, un grand serpent se montra sur la route. Les gardes se précipitèrent pour le tuer, mais Rachid les en empêcha, et leur nommant quelqu’un de leur connaissance qui venait de mourir : « Ce serpent, leur dit-il, est son purgatoire, car il était chargé de péchés. Ne le délivrez pas de sa condition. » Un autre jour, il vit un singe que faisait danser un vagabond. Il donna une pièce de monnaie à ce singe. Le singe se mit à la tourner en tous sens, puis expira. « L’animal, expliqua Sinan, était jadis un roi, et cette monnaie était frappée à son nom. Quand il l’a vue, Dieu l’a fait se souvenir de sa puissance passée, et lui a montré le degré d’avilissement où il était tombé. La violence du chagrin l’a tué. »

Ainsi ne perdait-il aucune occasion de se saisir de l’esprit de ceux qu’il trouvait sur sa route, tandis qu’infatigablement il chevauchait autour du Kaf, de l’Oronte à la mer. On dit que c’est lui qui édifia la forteresse de Marqab. Plus sûrement il conquit et fit reconstruire Olaïka, il rebâtit Rosafah, il répara Khawabi. Il parvint à constituer les Hashâshins de Syrie en secte indépendante des grands maîtres d’Alamout, Enfin il tint l’emploi d’un dieu. Cent témoins l’attestent. Le voyageur arabe espagnol, Ibn