aux Chambres du Travail, pillent les magasins des coopératives, déposent les conseils provinciaux et municipaux, suppriment ou bannissent les tyrans de la veille, et recueillent dans leurs propres syndicats une population toujours prête à se rallier aux plus forts.
On descend vers le Midi de la Péninsule, on passe en Sicile, et la scène change. Ici, la petite propriété est exceptionnelle, le métayage rarement pratiqué. La vie agricole, — on pourrait dire toute la vie sociale, — est dominée par ce phénomène séculaire, persistant : le grand domaine, le latifondo'. En Sicile, bien que, depuis cent cinquante ans, une certaine étendue de territoire, appartenant au domaine royal ou aux domaines ecclésiastiques, ait été répartie entre les paysans, des terres immenses sont demeurées en possession d’un seul maître . ce sont les fiefs, les feudi. Le propriétaire du fief, qui le plus souvent ne réside pas sur sa terre, qui parfois ne l’a jamais vue, la donne en location à un fermier général, appelé feudatario ou gabellotto. Celui-ci la répartit entre les paysans, qu’il exploite sans vergogne et sans contrôle.
En Sicile, il n’y a pour ainsi dire pas de village, parce qu’il n’y a pas d’eau, pas de routes, pas de police. Il m’est arrivé de parcourir à cheval ou en charrette trente, cinquante kilomètres, sans rien rencontrer sur mon chemin que, de loin en loin, une ferme aux allures de forteresse : pas de fenêtres, des meurtrières ; une haute muraille entoure et protège les bâtiments d’exploitation. Les paysans habitent dans les villes et font chaque jour, en moyenne, une dizaine de kilomètres pour se rendre à leur travail, et autant pour regagner leur logis. Il faut avoir assisté le soir, vers le coucher du soleil, à la rentrée des paysans dans une ville sicilienne, pour imaginer ce que peut être ici la condition sociale et morale des populations qui vivent de l’agriculture. Un long défilé d’hommes et de jeunes garçons, — les femmes, dans ce pays qui fut musulman, ne travaillent pas aux champs, — quelques-uns montés sur des mulets ou sur des ânes, la plupart marchant à pied. Tous ont le fusil suspendu à une épaule, à l’autre la cruche contenant l’eau pour la journée ; ils portent en outre leurs outils, parfois, au retour, une charge de