Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 15.djvu/703

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
704
revue des deux mondes.

d’alouettes. Alors, il a cru que La Fontaine était un farceur. Il se demande à présent si les animaux ne modifient pas leurs coutumes : « Il se peut fort bien que les alouettes de l'Île de France, au temps de La Fontaine, aient nidifié dans les blés, tandis que les alouettes comtoises contemporaines de ma jeunesse préféraient bâtir, pondre, couver et faire éclore sur le sol sec et rocailleux des terrains communaux où croît une herbe rare. » Les nouvelles alouettes ne se cachent pas comme autrefois ; elles ne veulent d’abri qu’une motte ou un caillou : elles veulent « le plafond du ciel et les horizons vastes. » On prétendait aussi, — et, tout près de nous, Michelet, — que les alouettes ne se perchaient pas sur les branches : « depuis quelques années, » répondit Louis Pergaud, « il m’est donné tous les automnes de voir des alouettes se percher sur les branches des buissons avoisinant leurs anciens nids. » Depuis quelques années : les alouettes auraient donc modifié leur vie et pris d’autres habitudes, récemment. Jadis, et il n’y a pas encore longtemps, les hirondelles ne se posaient pas volontiers sur le sol ; et, quand elles s’y étaient posées, par mégarde, elles avaient de la difficulté à reprendre leur vol : « ces dernières années et tous les jours j’ai vu des hirondelles volontairement se poser à terre et s’enlever ensuite avec une légèreté et une facilité que je n’eusse pas soupçonnées de la part d’oiseaux munis de pattes si faibles… » Le lièvre aussi, dans le pays de Louis Pergaud, changeait de conduite, les derniers temps que Pergaud l’observait. Eh bien ! si de telles remarques portaient sur de longues années et des siècles, sans doute s’apercevrait-on que l’instinct des animaux n’est pas immuable, comme on l’a dit, et que leur intelligence n’est pas inactive.

Je ne puis analyser tous les chapitres de ce volume, où Louis Pergaud résume, de la plus jolie manière, sa connaissance de tous les animaux du village et de la forêt. Les problèmes qu’il étudie ont le plus vif intérêt. Si les animaux jouent, ce qui s’appelle jouer, pour le plaisir ? N’en doutez pas : même, il a vu des corbeaux organiser une course contre le vent ; tous s’élançaient au signal donné ; le vainqueur était salué de croassements glorieux et, le vaincu, bafoué. Si les animaux ont de la pudeur ? Mais oui I Ce n’est pas la nôtre, ou celle qu’on nous recommande ; c’est la pudeur de la souffrance, de la maladie et de la mort. Coppée demandait si les oiseaux se cachent pour mourir : certainement ! Et plusieurs animaux, devant la souffrance, la maladie, la mort, sont de véritables stoïciens, sauf l’éloquence et le grand bavardage de ces philosophes. Il y a des animaux qui se tuent, préférant la mort à de fâcheuses conditions d’existence.