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distinguent pas la vérité de la laideur, ayant une fois supposé que l’ « audace » est la vertu principale de l’écrivain. Facile audace, faute de goût ! Pergaud ne fait pas l’audacieux. Ni le timide ! Il se réclame de Rabelais volontiers : auprès de son maître, il a pris des leçons de bonne humeur. Il ne craint pas la grossièreté, mais il ne l’affiche pas. Il est gaillard ; mais il n’est pas cynique.

La Guerre des boutons, qu’il appelle aussi le roman de sa douzième année, est l’histoire, très abondante, bien contée, d’une querelle qui durait depuis longtemps, et l’on n’en savait plus la cause, entre un village et le village d’à côté. Les vieux l’avaient oubliée : les gamins en gardaient la rancune. Et ces gamins se font la guerre. Aux prisonniers, on arrache les boutons de leurs vêtements, de sorte qu’ils s’en vont ensuite la culotte bas. Et les parents les tarabustent. C’est drôle et c’est absurde. C’est drôle et c’est triste par une absurdité qui déconcerte l’intelligence. Ces mauvais gamins ne sont pas tout différents des animaux de la forêt. Leurs ruses ont de l’analogie avec celles de Goupil le renard. Ils manquent de douceur, d’aménité, d’une finesse qui ne soit pas malicieuse et astucieuse, méchante même. Leur langage ne leur confère aucune digne supériorité sur les bêtes silencieuses. Affreux gamins ! Mais bien vivants. Pergaud s’en amuse ; et pareillement son lecteur. Il y a là une espèce de fureur, un foisonnement de jeunesse, une ridicule exubérance et d’un effet le plus singulier.

Les paysans de Pergaud, voyez-les dans le roman de Miraut. Miraut, chien de chasse, est l'âme de ce roman des paysans. Le maître de Miraut, Lisée : un braconnier. Sa femme, la Guélotte, une mégère. La Guélotte a pris en détestation le pauvre Miraut, bon chien pourtant. Ce qui la fâche est que Miraut tient beaucoup de place dans la maison, dérange les chats, salit le plancher. C’est principalement que Miraut mène Lisée à la chasse, le débauche, le dévergonde. À cause de Miraut, la Guélotte et Lisée font un exécrable ménage. Lisée, en outre, se grise. La Guélotte l’injurie. Des injures, l’on vient aux coups. Mais, entre le maître et le chien, l’amitié est ravissante. « Tu ne ferais pas tant de grimaces pour moi ! dit la Guélotte à Lisée, pourtant, ce n’est qu’un chien ! » Certes, Lisée n’aime pas la Guélotte : il aime son chien. Le lecteur aussi préfère Miraut. Ce Miraut, c’est un bon chien ; la Guélotte n’est pas une bonne femme. Et puis, telle que Louis Pergaud nous la montre, la Guélotte a quelque chose d’animal ; et Miraut, quelque chose d’humain.

Lisée, qui ne se plaît qu’au braconnage, ne travaille pas. Le ménage vient à manquer d’argent. Un riche monsieur des environs