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Dimanche, 22 août.

Le soleil rayonnant dans un beau ciel bleu me ranime. Au loin, le tintement des cloches amène les fidèles à la messe. C’est dimanche et ma promenade en famille se passera en cellule, où je me trouve séparé de ceux qui me sont chers.

Un peu après cinq heures, je suis appelé à l’instruction où l’on me confronte avec un inconnu ; après quoi, je subis un nouvel interrogatoire… En terminant, nous échangeons quelques paroles au sujet de la guerre ; je démontre combien il est triste de voir des millions d’hommes s’entretuer et je souhaite que cette terrible leçon leur serve d’enseignement et qu’ils apprennent à s’aimer enfin les uns les autres. « Vous êtes pères de famille, leur dis-je, moi également, et parce que vous êtes Allemands et moi Belge, vous cherchez à me retenir en prison, à me faire condamner, à me faire fusiller peut-être, tandis que moi, je résiste et fais l’impossible pour garder ma liberté. N’est-ce pas navrant, n’est-ce pas cruel ? »

Ce soir, étendu sur ma paillasse, je regarde la fenêtre et vois la lune, qui vogue très doucement dans l’immensité étoilée. Ses rayons d’argent éclairent vaguement ma cellule. Une lumière diffuse s’échappe des milliers d’étoiles piquées dans les profondeurs du ciel gris bleu où flottent de minces et délicats petits nuages blancs. Le disque lunaire dépasse le cran de ma fenêtre et je ne vois plus que la voûte céleste qui parait plus sombre. Le sommeil s’étend sur mes paupières et je cesse de contempler les beautés qui s’offrent à mes yeux…

Lundi, 23 août.

Le voisin L… revient de l’instruction et me fait savoir que les juges me considèrent comme le bouquet de l’affaire. J’en déduis que je serai particulièrement soigné lors du jugement et que je puis m’attendre à un joli petit succès au point de vue du nombre des années de prison qui me seront octroyées. N’empêche que cette nouvelle m’énerve et que je ne suis bon à rien. Je sais très bien qu’après la guerre nous serons remis en liberté, et cependant je suis troublé.

Mardi, 24 août.

En me levant, je ne suis pas tout à fait remis de mon trouble d’hier soir et j’entends encore vibrer dans mon oreille ;