j’ignore encore les termes, qui réconcilie ceux qui vous instruisirent et celui qui nous apprit à vous aimer. Vous êtes sensible à l’œuvre érudite et charmante du poète, mais qui donc vous a portés à sa hauteur, sinon les Pères jésuites ?
Cette anecdote, c’est un cas d’exception j’en suis sûr ; mais enfin elle est vraie, je vous prie de m’en croire. Quelle solitude de telles paroles laissent voir autour de l’éducateur ! Auprès de lui, à ras du sol, dans ce grand paysage accablant d’Asie, on distingue la figure à demi cachée de l’ingratitude. De toute son âme, il a fait cette éducation. Et le jeune disciple, devenu grand, s’éloigne sans un regard…. Qu’importe ! Il n’est pas de beauté sans un ingrat qui l’offense, et qui, croyant la diminuer, y met l’accent sublime.
La ténacité de ces prêtres, leur désillusion personnelle, s’il en est, l’empressement mystérieux de leurs élèves, l’ingratitude même de ces enfants, tout me ramène au problème qui m’obsède : peut-on créer une civilisation franco-orientale ? Doit-on juger qu’il y a chez les Orientaux de précieuses aptitudes spéciales à ménager et à sauver ? Quel dosage souhaiter d’Orient et d’Occident ?
Pratiquement, quelles qu’aient été leurs aspirations au départ, quelle que soit leur détresse dans le présent, si vains que deviennent leurs espoirs de convertir le mécréant, une chose est claire, c’est qu’ils travaillent à répandre notre civilisation. Sous le signe du Christ, ils prêchent l’amour de la France, avec une ardeur qu’aucune peinture n’exagérera. Apôtres du Christ et d’une religion universelle, ils feraient, certes, dans une colonie anglaise et dans tout pays, une besogne analogue à celle qu’on leur voit accomplir ici. Mais qu’ils préfèrent travailler pour la France ! Ils la jugent de la même manière que font les Maronites, c’est-à-dire comme la catégorie de l’idéal. Ils éprouvent une joie quotidienne, un sentiment royal à la voir dominer, protéger, nourrir spirituellement toutes ces races.
C’est qu’en effet la France, ici, est souverainement bienfaisante. Elle alimente et unifie ces nations, plus divisées encore qu’épuisées. En revenant du pays des Ansariés et des Ismaéliens, et de jeter un regard sur le chaos de leurs traditions millénaires, je suis persuadé que ces pauvres gens ont vraiment besoin de notre civilisation, et que sans elle ils continueront de n’en posséder aucune.