— Oui, me répond-il, nous allons à Karkernish.
Et nous sommes d’accord ! Djerablous, l’endroit où le chemin de fer de Bagdad traverse l’Euphrate, c’est aussi le point où s’élevait, un millier d’années avant Jésus-Christ ; Karkemish, la capitale du royaume des Hittites. Elle fut détruite par les Assyriens au huitième siècle avant notre ère, mais nous en verrons de beaux restes.
Du wagon, tout le long de la ligne, la campagne se déroule sans caractère, sans attrait. Une plaine agricole, la Beauce, la Champagne, n’importe quoi. C’en est même spirituel : avoir tant désiré de voir l’Euphrate, et trouver du blé, des légumes, du ricin, des lentilles, tout cela destiné au port de Marseille ! Notre train et la ligne d’Alep s’arrêtent au village de Djerablous, à quelque cent mètres du fleuve. Mais là-bas, le Tell de Karkemish, tout contre l’Euphrate, domine les deux rives. Précipitamment, nous sommes montés sur des wagonnets (de la ligne en construction) pour qu’on nous en approche le plus près possible. Contenau veut en visiter les fouilles, et moi en gravir le sommet. Nous l’abordons par son côté Sud-Ouest, et nous y prenons un chemin taillé dans les ruines, bordé à droite et à gauche de bas-reliefs. J’entrevois un dieu massif et trapu, la tête avec des cornes de taureau, assis sur deux lions que maintient un génie ailé, et puis des défilés de guerriers, de musiciens, de prêtres, d’allure assyrienne, avec pourtant je ne sais quoi de très personnel ; mais mon esprit les effleure, les dépasse : je ne songe qu’à atteindre le sommet du Tell.
Quand nous y arrivons, il est onze heures. La nuée des ouvriers qui travaillent au grand pont métallique, au-dessous de nous, s’égaille pour la sieste et restitue au paysage sa tragique solitude.
Un fleuve immense, tout jaune, strié d’herbages vert et or, dont les flots semblent lents et gras, chargés de limon. Aux rives, une mince bande de verdure, d’herbe douteuse, de petits arbres couleur de poussière. Nul horizon, toujours du vent, une monotonie solennelle.
Force, ampleur, immensité de cette-nappe limoneuse qui dévale avec l’impétuosité d’un torrent. Jetez cette masse d’eau sur ces terres désolées, quelle végétation splendide surgirait ! Mais tout s’écoule vainement. Sur les grandes berges jaunâtres, entre lesquelles fuit l’Euphrate, je crois lire le texte où