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Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 17.djvu/257

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s’est écaillée, et nous laisse voir une substance parente de la nôtre.

J’aime Antioche, je l’aimais par avance. Elle ne m’a pas déçu. Grand mystère des amours pour des personnes qu’on n’a jamais vues.


VISITE À DAPHNÉ

Daphné, le lieu saint où l’Antioche païenne honorait Apollon et les Muses…

Je chevauchais avec une animation de joie extraordinaire. L’après-midi était beau, ma curiosité excitée, je m’acquittais de l’un des devoirs de ma destinée : j’allais saluer Apollon au milieu de ses ruines, Apollon de qui, pour une faible part, je relève. J’accomplissais le pèlerinage où le monde antique révéra le porte-lyre, parmi des bosquets de lauriers et de cyprès. Ici les dieux païens, galvanisés par l’empereur Julien, livrèrent au Christ leur suprême bataille, avec des arguments qui gardent encore une force secrète.

Des chemins honteux, rocailleux, désordonnés, assez amusants pour qui chevauche lentement, mais qui témoignent d’une incurie dégoûtante. On suit l’Oronte, puis le laissant, on va droit au mur de la montagne, à travers des mares, des ruisseaux et des fontaines vives, pour s’engager soudain dans un vallon de lauriers roses, qui se termine en cul de sac, et d’où l’on domine une pente rapide glissant à la mer. Un site plein d’arbres, un bois sacré, arrosé, inondé de cascades bruissantes qui s’y précipitent de toutes parts, ruissellent, luisent, fraîchissent, étincellent ; un sol comme une éponge, où l’on ne peut descendre qu’en risquant mille entorses. C’est une diversité de cent cascades, et, à tous les étages, des terrasses de platanes, de peupliers, d’oliviers. Quel bruissement de fontaines ! Quelle épaisseur de verdure ! À travers les ronces, je me fraye un passage, sous les grands arbres, en cherchant mon équilibre, de pierre en pierre, au milieu de l’eau éclatante et assourdissante. Suis-je devant l’antique sanctuaire ? devant les derniers débris des maisons de plaisir ? devant les églises chrétiennes ? Cette eau des fontaines, c’est toujours la nymphe aux cheveux dénoués qui voulait fuir quand le Dieu la transforma en laurier.

J’admire avec ravissement le génie rapide des Hellènes et ce