Maître. Seulement un soleil surmonte le cénotaphe, le soleil de Tebriz. « J’étais neige et je fondis (sous un rayon de ce Soleil), chante Djelal-eddin, si bien que la terre me but, jusqu’à ce que je devinsse un brouillard d’âme qui monte vers le ciel. »
En quittant ce profond Chems-eddin, je suis allé porter mon hommage au cheikh Cadr-eddin, qui fut l’ami de notre grand homme. Lui aussi, il repose dans une petite mosquée toute calme, et si fraîche qu’elle sert de cellier pour quelques jarres d’eau de la source de Meram, dont la vertu est de se bonifier en vieillissant.
Le titre immortel de Cadr-eddin, c’est qu’il a prononcé la prière finale sur le corps de Djelal-eddin. Tous les grands savants prétendaient à cet honneur. Le mourant lui-même désigna Cadr-eddin. C’est sans doute à ce moment que celui-ci cherchant à exprimer quelques espoirs de guérison, le glorieux poète les écarta par cette suprême parole : « Entre l’amant et l’amante, il ne reste plus qu’une chemise de crin. Ne voulez-vous pas qu’on la retire et que la lumière se joigne à la lumière ? S’embrasser sans voiles est plus agréable. »
On m’a lu sur la porte de cette petite mosquée une inscription où il est dit que Cadr-eddin a légué ses biens en fondations pieuses. Ses livres sont encore là, quelques ouvrages de théologie et de philosophie mystique, dont M. Huart a parcouru sans enthousiasme le catalogue.
Tout en suivant les traces de ces « prophètes » dont j’aimerais tant à saisir le profond secret moral que leur musique me voile, je saluais en pensée les disciples féminins du Maître…
Chaque semaine, dans la nuit du jeudi au vendredi, les grandes dames de Konia se réunissaient chez l’une d’entre elles, une personne extrêmement distinguée, que Djelal-eddin appelait la « directrice spirituelle des Dames. » Après la prière de la nuit close, le Maître arrivait, tout seul, et s’asseyait au milieu de leur cercle. Elles répandaient sur lui des pétales de fleurs et de l’eau de rose, tandis qu’il s’occupait de mystères et de conseils moraux. Pour finir, de jeunes esclaves récitaient des vers, jouaient de la flûte et du tambour de basque, et il dansait. Les femmes tombaient dans une telle extase qu’elles ne distinguaient plus leurs pieds de leurs têtes, ni leurs têtes de leurs