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Page:Revue des Revues et Revue d’Europe et d’Amérique, numéro 7, volume 29, 1899.djvu/303

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Je ne permettrais jamais que ma fille s’adonnât à une occupation si cruelle, dit une dame qui était assise tout près de là.

L’enfant enleva le petit poisson de la ligne et le jeta de nouveau par terre à côté de la dame.

Le petit poisson mourut… il sursauta et retomba mort… une mort simple et douce ! Il oublia même de danser, sans façon il partit…

« Oh !… » dit la dame.

Et cependant dans le visage de la cruelle enfant aux cheveux châtains clairs, il y avait une profonde beauté et une âme à venir.

La figure de la noble dame était fanée et pâle…

Elle ne donnera plus jamais à personne ni joie, ni lumière, ni chaleur…

Et ainsi elle sentait ce que sentait le petit poisson.

Pourquoi mourir, quand il a encore la vie en lui ?…

Et cependant il sursauta et retomba mort… une mort simple et douce…

L’enfant continua à pêcher avec le grand et inébranlable sérieux du pêcheur. Elle est superbe avec ses grands yeux fixes, ses cheveux châtains clairs et ses jambes de gazelle.

Peut-être un jour plaindra-t-elle le petit poisson et dira : Je ne permettrais jamais que ma fille s’adonnât à une occupation si cruelle !…

Mais ces tendres émotions de l’âme n’effleurent que les tombes de tous les rêves détruits, de toutes les espérances mortes…

Alors pêche toujours, charmante jeune fille !

Car, toi qui ne réfléchis pas, néanmoins tu portes en toi ton sublime privilège !…

Tue le petit poisson et pêche !


II. — « LE CID »… M. WINKELMANN


« Madame, que voulez-vous manger ? »

La jeune femme était encore un peu abattue par la représentation. Elle aurait préféré être étendue dans un grand fauteuil rond pour se reposer. Si quelqu’un lui eut déboutonné lentement sa chaussure, et ouvert tout doucement son corsage, et enlevé les épingles d’écaille de ses épaisses tresses, et laissé glisser mollement entre les dix doigts la masse d’un brun doré et… ?

Mais il fallait examiner la carte de l’hôtel B. et se tenir toute droite sur une petite chaise de cuir tendu. Ce n’était pas très amusant.

« Je n’ai pas faim », dit-elle, et elle regarda avec indifférence la longue colonne uniforme des plats.

« Mangez un ris de veau, sauce hollandaise… », dit-il.

« Oui », dit-elle.

Elle posa à côté d’elle son éventail d’écaille, sa lorgnette et son