Page:Revue des Romans (1839).djvu/141

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

digne écuyer, cet homme, c’est Sancho Pança, le second héros de cette très-véridique histoire ; c’est le complément nécessaire, inséparable du merveilleux récit dans lequel sont aux prises, et sans qu’on sache qui l’emportera enfin, le bon sens et la folie humaine. Avec quelle joie le lecteur suit dans cette longue série d’aventures le héros chéri de ses souvenirs ! il le voit fabriquant son bouclier et sa rondache, allant chercher à l’écurie, où il est couché sur la paille, son malheureux cheval qui ne pense guère à l’héroïsme ; les voilà partis, homme et cheval. Cependant, la campagne est tranquille, les laboureurs sont aux champs, les paysannes se mettent à leur fenêtre pour voir passer le cavalier et son cheval. Don Quichotte entre dans la première hôtellerie qui se présente, et là commence une série d’aventures, à la suite desquelles se termine sa première campagne. Rentré chez lui, couvert de contusions, bien malade, mais plus convaincu que jamais de sa mission, Don Quichotte en vient à penser qu’il n’est pas bon que l’homme soit seul, et aussitôt il s’associe un écuyer. Ici Sancho commence, Sancho qui fait pendant de Don Quichotte, comme son âne et Rossinante font la paire. On entre alors dans une série infinie de merveilleuses aventures pour lesquelles il n’a fallu rien moins que l’imagination et la poésie la plus rare. Suivons Don Quichotte dans ce monde idéal dont il sait le chemin ; l’imagination le précède, et elle jette sur les pas de ce brave homme toutes les perles de sa chevelure, toutes les fleurs qui parent son beau sein, tous les sourires de ses lèvres, toutes les chansons de son cœur. Ainsi voyageant dans l’idéal de son royaume, Don Quichotte est en vérité le plus heureux des hommes. À sa suite, on admire le sérieux bouffon de Sancho ; Sancho, c’est le bon sens un peu crédule qui suit à pas comptés la poésie. Sancho n’est pas un obstiné qui ne veut rien voir, qui ne veut rien entendre, un philosophe tout d’une pièce, un incrédule, venu au monde incrédule : au contraire, Sancho ne demande pas mieux que de voir ce que voit son maître et que d’entendre ce qu’entendent seules les oreilles enchantées de son maître. Mais, hélas ! et malgré lui, le pauvre Sancho reste dans le positif. Il ne voit, lui, à la suite de son malheureux maître, que mauvaises hôtelleries où l’on paye son gîte, qu’horribles filles d’auberge qui méprisent les chevaliers, que rustres et manants qui leur jettent des sarcasmes et des pierres. De toutes les beautés que voit son maître, de tous les chants d’amour qu’entend son maître, Sancho ne peut rien voir, rien entendre, rien sentir.

On sait que le chef-d’œuvre de Cervantes est double ; que d’abord Cervantes lui-même s’imagina qu’il n’allait écrire que la parodie des livres de chevalerie, mais qu’il s’éprit bientôt