Page:Revue des Romans (1839).djvu/219

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où, quoique jeune, il se plaisait à assister aux entretiens sérieux qui remplissaient souvent une partie des soirées que l’on passait à l’hôtel. Un charme plus puissant l’attirait encore dans la demeure du maréchal ; ce digne vieillard avait auprès de lui sa fille, Mme la duchesse de Nevers, veuve à vingt ans d’un mari qu’elle avait épousé à douze, après l’avoir trouvé chez le notaire et quitté à l’autel. La duchesse était une femme accomplie qui, à la finesse de l’esprit, à la simplicité du cœur, joignait la dignité du maintien à la bienveillance des manières. Édouard fut frappé de ces perfections, et le premier jour où il aperçut cet ange terrestre décida de sa vie ; il le sentit, et n’eut pas la force de combattre un sentiment dont il ne pouvait rien espérer. L’amitié du maréchal, la bienveillance de la duchesse, les égards que lui témoignaient toutes les personnes de la société de M. d’Olonne, ne lui avaient point fermé les yeux sur la distance qui le séparait de son illustre protecteur ; il ne se faisait aucune illusion sur les suites d’un amour que devait sans cesse ignorer celle qui l’avait fait naître. Édouard eut un instant l’idée de fuir le danger au lieu de le braver ; mais un événement cruel rendit cette disposition inutile. Son père mourut dans ses bras ; les premiers mots du maréchal furent ceux-ci : « Mon cher Édouard, il vous reste encore un père ! » et, dès ce moment, l’illustre guerrier s’occupa d’en remplir les devoirs sacrés. Édouard avait voulu fuir Mme de Nevers, il devint son commensal ; il cherchait à l’oublier, et les occasions de la voir, de l’admirer, se multiplièrent. Dès lors il dut se résigner à l’aimer ; il lui sembla que c’était accomplir sa destinée. Deux jeunes seigneurs prétendaient à la main de Mme de Nevers ; le duc de L. et le prince d’Enrichemont ; mais aucun d’eux n’avait fait impression sur le cœur de la jeune duchesse. Nous passons sous silence une foule de détails charmants où les progrès de la passion d’Édouard sont tracés avec une brûlante énergie, où la tendresse naissante de Mme de Nevers pour le jeune avocat est indiquée avec un art et une grâce parfaite. Vaincu par l’excès des souffrances qui marquent chacun de ses jours, Édouard se décide à ouvrir son cœur à celle qui règne en souveraine sur lui ; amené à ses pieds par une de ces résolutions désespérées dont on semble attendre son salut ou sa perte inévitable, il s’avoue coupable d’un amour qu’il regarde comme une offense ; après lui avoir dit : « Je n’espère rien, je ne demande rien, je sais trop bien que je ne puis être que malheureux, il ajoute : Dites-moi seulement que si le sort m’eût fait votre égal, vous ne m’eussiez pas défendu de vous aimer. — Pourquoi ce doute ? dit à Édouard la duchesse. Ne savez-vous pas que je vous aime ? Nos deux cœurs se sont donnés l’un à l’autre en même temps ; je ne me suis fait aucune illusion sur la folie de