Page:Revue des Romans (1839).djvu/338

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esprit original, prit le parti de faire, comme Cervantes avait fait un livre de chevalerie, pour s’en moquer. Il affecta d’enchérir sur la bizarrerie des fictions, et de la pousser jusqu’à la folie ; mais cette folie est si gaie, si piquante, si bien assaisonnée de plaisanterie, relevée par des saillies si heureuses et si imprévues, que l’on y reconnaît à tout moment un homme très-supérieur aux bagatelles dont il s’amuse. Il va plus loin dans Fleur d’Épine ; il y a des traits d’une vérité charmante, et de l’intérêt dans les caractères et les situations. L’objet en est moral et très-agréablement rempli ; c’est de faire voir qu’avec beaucoup d’esprit, de courage et d’amour, un homme sans figure et sans fortune peut vaincre les plus grands obstacles, et que dans les femmes la grâce l’emporte sur la beauté. Hamilton devait en effet vanter la grâce, son style en est plein. Il suffirait pour le prouver de se rappeler le tableau de Tarare, emmenant avec lui, sur la jument Sonnante, la jeune Fleur d’Épine, qu’il a tirée des mains de la fée Dentue, et qui ne le connaît encore que pour son libérateur, mais qui, à ce titre, commence déjà à sentir de l’inclination pour lui. On ne trouve point ici de ces conversations de romans mille fois répétées dans des situations pareilles. Hamilton sait s’y prendre autrement pour nous faire lire dans le cœur de Fleur d’Épine. Tarare lui raconte, chemin faisant, comme il a été choisi pour peindre la belle Luisante, dont les yeux faisaient mourir tant de monde. « Vous l’avez donc souvent regardée ? dit Fleur d’Épine. — Oui, dit-il, tout autant que je l’ai voulu, et sans aucun danger, comme je viens de vous le dire. — L’avez-vous trouvée si merveilleusement belle qu’on vous l’avait dit ? — Plus belle mille fois, répondit-il. — On n’a que faire de vous demander, ajouta-t-elle, si vous en êtes d’abord devenu passionnément amoureux ; mais dites-m’en la vérité. » Tarare ne lui cacha rien de ce qui s’était passé entre lui et la princesse, pas même l’assurance qu’elle lui avait donnée de l’épouser en cas qu’il réussît dans son entreprise. Fleur d’Épine ne l’eut pas plutôt appris, que, repoussant les mains dont il la tenait embrassée, elle se redressa, au lieu d’être penchée sur lui comme auparavant. Tarare crut entendre ce que cela voulait dire ; et continuant son discours sans faire semblant de rien : « Je ne sais, dit-il, quelle heureuse influence avait disposé le premier penchant de la princesse en ma faveur, mais je sentis bientôt que je n’en étais pas digne par les agréments de ma personne, et que je le méritais encore moins par les sentiments de mon cœur ; car je ne me suis que trop aperçu depuis que l’amour que je croyais avoir pour elle n’était tout au plus que de l’admiration. Chaque instant qui m’en éloignait effaçait insensiblement son idée de mon souvenir, et dès les premiers moments que je vous ai vue, je ne