Page:Revue des Romans (1839).djvu/354

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fait aussitôt se précipiter lui-même la tête la première. — L’horrible absurdité de ce conte est rachetée par quelques traits du caractère de Clara, dont la fermeté, le simple bon sens et la franche affection forment un contraste agréable avec l’imagination en désordre, les appréhensions, les frayeurs chimériques et la passion déréglée de son extravagant adorateur.

MARINO FALIÉRO. — À l’exposition de 1816, à Berlin, on remarquait un tableau du célèbre Kolbe représentant un doge richement habillé, à l’air vénérable, près duquel était une jeune et belle femme ; dans le fond, on voyait la mer couverte de barques et les palais de la belle Venise ; sur le cadre du tableau on lisait ces mots :

Ah ! senza amare
Andare sul mare,
Col sposo del mare,
Non puo consolare.

Ah ! quand on n’aime pas, se promener sur la mer, fût-ce même avec l’époux de la mer, tout cela ne peut consoler quand on n’aime pas ! Une discussion s’engage sur ce tableau. Est-ce un sujet de fantaisie ? Est-ce une aventure réelle ? Hoffmann fait intervenir un inconnu, quelque peu mystérieux, qui raconte ainsi l’histoire du doge Faliéro, représenté dans ce tableau : Le jour d’une grande fête à Venise, le peuple se pressait aux portes du palais ducal pour voir sortir le doge et la dogaresse qui devaient aller à la place Saint-Marc. Au moment où la dogaresse passa, un jeune homme poussa un cri, et tomba comme mort sur le pavé ; la dogaresse pâlit, et ce fut comme si un coup de poignard venait de lui percer le sein. Ce jeune homme, c’était le gondolier Antonio ; il avait reconnu dans la dogaresse, Annunciata, jeune fille qu’il avait vue autrefois à Trévise dans un jardin, et qui avait épousé depuis le vieux doge Faliéro. C’était elle, il l’avait reconnue, c’était Annunciata. Ce que n’avaient pu faire toute la galanterie et tout l’éclat des jeunes Vénitiens, le souvenir d’Antonio et l’idée de son amour troublent le cœur d’Annunciata, et cette jeune fille mariée à un vieillard qu’elle chérit, qu’elle respecte comme un père, mais qu’elle n’aime pas, qu’elle ne peut aimer, Annunciata devient triste et rêveuse ; cette affection et ce respect de fille ne remplissent pas son cœur ; il lui manque quelque chose de vif et de plus doux, il lui manque d’aimer. Hélas ! est-ce d’aimer qu’il lui manque ? Non, elle aime, elle aime Antonio ; elle s’en entretient sans cesse avec une vieille femme, la nourrice d’Antonio, qui a réussi à s’introduire près de la dogaresse. Annunciata se rappelle cette entrevue passagère au jardin de Trévise. Antonion dormait sous un arbre, et un serpent allait le mordre ; elle est arrivée, et d’un