Page:Revue des Romans (1839).djvu/395

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voit longtemps que l’amour d’un jeune homme obscur et pauvre, sans titre, sans nom, sans existence, qui n’attend rien que du succès de ses travaux, pour l’unique héritière d’un grand nom et d’une grande fortune, destinée à tout autre qu’à un artiste. Tous les progrès de cette passion dévorante sont développés dans le roman avec autant d’imagination et de feu que de naturel et de vérité ; ils amènent des épisodes pleins de charme, comme celui du tableau où le peintre a représenté une bonne action de Saphira, dont le hasard a voulu qu’il fût témoin, ou des scènes d’un grand caractère, comme la fameuse fête donnée à l’occasion du mariage de Napoléon par le prince de Schwartzemberg. Arrachée à une mort certaine et sauvée de l’effroyable catastrophe qui termina les plaisirs de cette folle nuit, par le dévouement de Salvini, Saphira, sous la voûte de feu qui menace de les écraser, lui a juré d’être à lui ou de n’appartenir jamais à un autre ; et dans la bouche de cette jeune femme, ce n’est pas une vaine parole, enfant d’un délire passager ; ce serment, elle saura le tenir, mais à quel prix ? Séparée de Salvini par une barrière insurmontable, comment lui appartenir ? Ici est le nœud de cette histoire. Subjuguée par l’ascendant du prince de Claramonte, qui l’avait demandée au comte de Saint-Maur pour Salvini, et auquel elle avait été refusée (prince que l’auteur fait passer alors d’un rôle secondaire et tout d’observation à la plus grande énergie d’action et de volonté), Saphira, sans chagriner son père, sans faire violence à sa religion et en respectant les lois impérieuses du monde, acquitte la dette de son cœur, et sous le nom du prince s’unit à Salvini. Mais bientôt abandonnée de ce Salvini, pour prix du beau sacrifice qu’elle lui a fait, Saphira expie dans les larmes et la solitude de son palais le tort d’avoir répondu par trop de confiance à l’amour du jeune artiste. Le noble prince de Claramonte ne souffre pas seulement de son malheur comme son meilleur ami, et de l’infidélité du peintre comme d’un crime envers lui-même ; dévoré par une passion secrète, il se reproche d’avoir confié à Salvini l’existence d’une femme qui aurait fait son bonheur à lui et dont il n’aurait pas trahi l’amour ; mais il étouffe sa passion, et ne songe qu’à retirer Salvini de l’abîme où il s’est plongé. Il était trop tard ; Salvini meurt, purifié par le repentir ; les lois et la société sont vengées, et Saphira ne porte plus en vain le nom du prince de Claramonte. — Tel est cet ouvrage original dans sa conception, plein de situations fortes, semé d’observations fines et heureusement exprimées.

Nous connaissons encore de M. Kératry : Le Voyage de vingt-quatre heures, in-12, 1800. — Frédéric Styndall, ou la fatale Année, 5 vol. in-12, 1827.

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