Page:Revue des Romans (1839).djvu/495

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devait commencer par être secrète. La pauvre Clémentine n’est pas la seule passion d’Émile ; il est pris dans les filets d’une jeune intrigante qui l’exploite, et à qui, dans l’effusion de sa tendresse, il a consenti à donner un blanc seing. Émile et sa maîtresse se sont brouillés ; le donateur veut rentrer en possession de sa signature ; la donataire choisit un fondé de pouvoirs, et la transaction doit se négocier chez un ancien homme d’affaires, ami du général Delavergne. De cette situation savamment préparée sort une scène du plus bel effet. Tandis que le général attend le fondé de pouvoir, Émile de Luçon se présente chez l’homme d’affaires et lui explique le projet qui l’amène ; il a besoin d’une fortune d’emprunt pour demander décemment la main d’une jeune personne, et d’ailleurs il a mis bon ordre à ce qu’on ne pût la lui refuser. Marché conclu : l’homme d’affaires accepte, et promet la fortune remboursable avec le montant de la dot. Caché derrière un paravent, Delavergne a tout entendu, sauf le nom de sa fille, qu’Émile n’a pas prononcé. De cette confidence interceptée jaillissent des lumières qui plus tard éclaireront la triste Clémentine, alors que, devenue mère, et croyant toucher au terme de ses inquiétudes, elle voit commencer un malheur sans fin. Alors le bandeau tombe ; Émile lui apparaît dans la nudité de son égoïsme. Plutôt que de s’unir à lui, Clémentine renonce au monde et se réfugie dans un couvent, après avoir assisté aux derniers moments de son père.

VIERGE ET MARTYRE, 2 vol. in-8, 1835. — Ce roman, fondé sur l’invention plutôt que sur l’observation, se rapproche du genre de l’énigme, dont on ne se soucie plus guère dès qu’on en tient le mot. L’auteur a mis un art infini à le faire entrevoir et désirer ce mot, que l’on poursuit à peu près pendant deux volumes. Cent cinquante pages du premier ne sont consacrées à autre chose qu’à exciter la curiosité de tous les aiguillons dont le conteur dispose, et puis, quand il la sent bien animée, bien avide, bien frémissante, il la lance en plein champ dans son récit qu’elle parcourt d’un bout à l’autre sans perdre haleine, jusqu’à ce qu’elle en touche le terme. — Il y a dans ce livre plus d’imagination que de vérité. Le caractère de Dargelis, spéculant d’abord sur sa femme, dont il se fait un piédestal, voulant spéculer ensuite sur celle qui passe pour sa fille, dépasse la mesure de la bassesse et de la méchanceté probables ; le baron de Gavardin rentre dans la même catégorie ; nous préférons de beaucoup Henri de Montlieu et Clémentine, qui, malgré les excentricités de leurs rôles respectifs, se colorent de teintes aussi naturelles que touchantes et gracieuses. Rien de plus frais et de plus franc que les scènes du roman qui se passent à Vaujours, parmi les paysans chez qui Dargelis a re-