Page:Revue des Romans (1839).djvu/499

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ble pour lequel il cherche des victimes ; c’est un damné plus effrayant que Satan lui-même. L’auteur passe sans cérémonie d’un épisode à un autre, et ne se donne pas la peine de lier entre elles les diverses parties de son histoire, où l’on voit une héroïne qu’un ermite mort marie avec le fantôme d’un domestique assassiné ; pour témoin des sibylles et des monstres d’avarice, des maniaques et des inquisiteurs, des juifs apostats, des amants frappés du tonnerre ou se dévorant entre eux dans des caveaux plus affreux que la tour d’Ugolin, etc. Au milieu de cette fantasmagorie, on est forcé d’applaudir à des traits de la plus grande énergie et de la plus pathétique réalité, et malgré un déplorable système d’exagération dans le style, on admire des passages du plus grand effet dans le genre gracieux ou terrible ; la fable est conduite avec un art merveilleux. Au milieu de scènes déchirantes, l’épisode d’Immalie, plein de fraîcheur et de sentiment, repose agréablement l’imagination, — Jetée par la tempête dans une île déserte, non loin des rivages de l’Inde, Immalie, jeune Espagnole, vit depuis dix années dans cette solitude, se nourrit de fruits, se tresse des vêtements de feuillages et de fleurs. Melmoth, dans cette île, rencontre l’innocente jeune fille, et lui enseigne à exprimer ses idées par des mots. Elle lui raconte alors comment sa nourrice l’a sauvée du naufrage, lorsqu’elle n’avait encore que cinq ans ; comment elle a vu mourir cette nourrice peu de temps après, comment enfin elle a vécu depuis sans soucis et sans inquiétudes. Bientôt Immalie aime son farouche protecteur ; il disparaît pour huit jours ; la jeune fille se désole, et, à son retour, il la trouve baignée de larmes ; elle ne peut vivre sans lui ; elle veut le suivre au milieu du monde dont il lui a fait voir un spectacle effrayant. Ému pour la première fois, Melmoth frémit devant sa victime ; il craint d’entraîner Immalie dans le gouffre entr’ouvert sous ses pas ; il la conjure de l’oublier, il a pitié de tant d’innocence et de candeur, mais la passion d’Immalie est aussi profonde que dévouée ; ils se séparent au milieu d’un orage. Cinq ans se sont écoulés, Melmoth n’a plus reparu dans l’île ; mais Immalie a retrouvé sa famille, elle a été rendue à sa mère et habite l’Espagne ; elle revoit Melmoth… Nous laisserons le lecteur suivre l’auteur dans les bizarreries où l’entraîne son imagination. Nous regrettons qu’il n’ait pas donné à son héros quelque chose de plus humain ; puisqu’il le sait susceptible d’aimer et d’apprécier le bonheur d’être aimé, il eût dû lui faire tout entreprendre pour reconquérir l’immortalité qu’il avait perdue. Il y a, du reste, beaucoup de talent dans l’opposition d’une créature remplie de pureté, avec cet esprit infernal qui lui dévoile toutes les douleurs ; l’amour de ces deux êtres ressemble à l’union de l’enfer et du ciel ; mais le style est trop riche et le