Page:Revue des Romans (1839).djvu/537

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quigley aurait pu réparer, aérer, purifier quelque partie du château ; mais elle s’en est bien gardée, pensant que si la vue des portes du manoir ne l’empêchait pas d’entrer, son aspect intérieur l’en aurait bientôt fait sortir. Mistress Quigley s’est trompée. Dans un siècle où le gothique est à la mode, lady Emily a été émerveillée ; elle n’aurait trouvé nulle part meubles plus incommodes et plus gothiques. En parcourant les vieilleries du château, lady Emily a découvert la garde-robe de sa véritable tante, morte depuis quarante ans, et elle imagine à l’instant de les prendre pour jouer la comédie, aidée des notabilités de la contrée, rassemblées par hasard et arrivées en procession pour rendre leurs hommages aux nouveaux seigneurs du comté. C’est, d’une part, lady Rostrevor, papesse d’une association antipapiste ; d’une autre part, c’est l’honorable et révérend docteur Popylus, recteur de New-Town, fils et gendre d’évêque, dont les bénéfices et les dîmes lui rapportent 80 000 livres de rente : cet honorable, traîné dans sa berline à quatre chevaux, pourvue de postillons courant en avant et de laquais perchés en arrière et portant sa livrée violette à galons d’or, s’est informé, en passant, si on avait saisi et mis en vente la dernière truie de la vieille Molly, qui refuse de payer la dîme, et il a appris que, selon ses intentions, on a pris tout ce qui restait à la vieille femme. En opposition à ce personnage, se présente le vicaire catholique Ocallaghan, portant un costume moitié prêtre et moitié chasseur, s’asseyant au milieu de l’église verte et de l’église orangiste avec autant d’aisance et de sang-froid qu’il cause d’étonnement et d’indignation chez l’une et chez l’autre. Ainsi voilà l’Irlande représentée dans les chefs de ses diverses religions, mis aux prises, au banquet d’un philosophe, avec leurs préjugés, leur hypocrisie, leur orgueil oppresseur et leur fanatisme d’opprimé. Le dialogue de tous ces acteurs religieux est des plus animés ; la scène est palpitante de vie et d’intérêt. Du tableau de l’état religieux on passe à celui de l’état social, qui est peint avec une effrayante vérité à la taverne de la Cornemuse, dans la loge d’Olouglhin et d’O’Leary, à la table du collecteur des dîmes, comme au salon du schériff du comté : là, on voit l’Irlande sous la griffe de ses tyrans de tous les rangs, de ses agitateurs de tous les partis. — Au milieu d’un pays où tant de gens, par calcul ou par imbécillité, maintiennent les plus honteux abus, M. Sackville, qui veut les détruire, s’est bientôt attiré la haine des puissances du comté. Sans craindre de rompre en visière à la haute magistrature et au révérend clergé qui s’intéressaient à ce qu’O’Brian fût pendu, M. Sackville a obtenu la grâce de ce chef de la bande des Pieds blancs, condamné à mort sur la déposition de Thims Reinold, domestique de Galbraith. Par hasard cette grâce a été