Page:Revue des Romans (1839).djvu/55

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danse n’obtient aucun succès. — Le second est Tobias Guarnérius, pauvre luthier, qui introduit l’âme de sa grand’mère dans un violon, auquel il fait rendre des sons d’une inconcevable harmonie ; c’est une imitation laborieuse du violon de Crémone d’Hoffmann. — Le Ministère public est une leçon hardie, énergiquement donnée à ceux qui font briller leur talent aux dépend de leur conscience. — Les Regrets sont une suite de scènes frappantes de naturel ; c’est le monde dans sa laideur, c’est bien l’égoïsme qui profite de tout, et s’applaudit d’une mort qui lui donne un cachemire. Les Regrets vous peignent toutefois la famille beaucoup plus mal faite qu’elle ne l’est réellement : jamais un mari, le jour où meurt sa femme, ne va dîner chez Véry ; jamais un fils, si jeune qu’il soit, n’insulte au cadavre de sa mère.

LE MÉDECIN DE CAMPAGNE, 2 vol. in-8, 1833. — Benassis, le médecin de campagne, est une sorte de bonhomme Richard, qui regarde sa profession comme un sacerdoce, et qui s’occupe tout à la fois de la réforme politique et sociale de sa commune. De là d’interminables discussions entre lui, le curé, le maire, et tous les personnages qui représentent les diverses classes de la société. Ces conversations forment une suite de contes sur l’économie politique, qui rappellent ceux de miss Harriet Martineau, moins la science sociale que miss Harriet Martineau possède fort bien, et dont M. Balzac connaît à peine les éléments. Dépouillé de ses prétentions scientifiques, il reste peu de pages au livre de M. Balzac ; mais dans ce peu de pages on retrouve l’esprit observateur du fécond romancier. Nous citerons particulièrement la mort d’un fermier des montagnes du Dauphiné et ses funérailles, tableau vrai, original et parfaitement senti de ces mœurs primitives si peu connues. M. Balzac a vu cette fois, il n’a pas créé, comme il le fait souvent, des types imaginaires, en les donnant pour l’expression de la vérité, et ce court épisode suffirait pour faire oublier tout ce que le Médecin de campagne renferme de fastidieuses descriptions, de plaisanteries lourdes et prolongées, de discussions sans profondeur et sans portée. Nous devons encore signaler un morceau naïf et déjà populaire, l’Histoire de Napoléon racontée par un ancien soldat ; l’Élégie de la Fosseuse ; la Cuisinière heureuse ; le Poitrinaire ; la Vie du commandant Genestas, etc, etc.

LE PÈRE GORIOT, 2 vol. in-8, 1835. — Le Père Goriot est une création qui ressemble beaucoup à celle du roi Léar de Shakspeare ; cependant, tout en se ressemblant par les traits principaux, les deux personnages diffèrent entre eux par des nuances fortement tranchées. Shakspeare avait voulu représenter dans son vieux roi la paternité aveugle et folle, se dépouillant de tout, sceptre, grandeur, fortune, au profit de deux filles dont la noire ingratitude