Page:Revue des Romans (1839).djvu/584

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ou des couleurs séduisantes, il reproduit la nature dans sa naïve grossièreté ; il ne fait pas l’image de la volupté, il trace celle du plaisir.

Quelques traits peu connus du caractère de cet auteur ne paraîtront peut-être pas déplacés ici. Pigault-Lebrun était un homme franc et probe par excellence, religieux observateur de sa parole, d’une exactitude sévère envers les autres et envers lui, d’un désintéressement rare, d’une brusquerie extrême, mais qui n’allait pas cependant jusqu’à la rudesse. Barba, son libraire, n’a jamais traité avec lui que sur parole, et jamais ils n’eurent entre eux la plus légère contestation. Lorsque les romans de Pigault eurent obtenu un éclatant succès, Barba lui fit la proposition d’augmenter le prix primitivement convenu pour le manuscrit de chaque ouvrage. Mais Pigault fut huit ans sans vouloir que de nouvelles conditions fussent faites. Il y consentit cependant, nous croyons que c’est à l’occasion du roman de M. Botte ; l’auteur voulait faire seulement deux volumes ; Barba se plaignait de l’exiguïté, « Eh bien ! dit Pigault, paye-moi 60 francs la feuille ou 2 400 francs par roman, et je ferai quatre volumes ! » Barba y consentit de grand cœur, et ce prix servit de base pour les publications ultérieures. — L’auteur avait son couvert mis chez son libraire, avec lequel il dînait souvent. Un jour Barba lui offrit spontanément de lui faire une pension de 1 200 francs lorsqu’il y aurait quarante-huit volumes publiés (il n’y en avait alors que vingt-quatre). Lorsqu’il y eut trente-sept ou quarante volumes parus, Pigault dit à Barba en plaisantant : « Tu me dois une pension. — Non, répondit Barba, je ne la devrai qu’à la publication du quarante-huitième volume. — Tu veux donc te dédire. — Non, car j’accepte. » La pension courut à partir de ce jour, et fut payée, par Barba, pendant quinze ans, sans autre traité que sa parole. Plus tard un acte fut rédigé. La pension a été servie à l’auteur jusqu’à sa mort ; elle est encore payée à sa veuve par Gustave Barba, acquéreur des œuvres de Pigault. — Barba donnait à Pigault douze exemplaires de chacun de ses romans ; s’il en prenait un en plus il le payait ; il a pris ainsi, dans le cours de sa vie, environ quarante exemplaires de ses romans, dont Barba a été forcé d’accepter le prix. «Tant qu’il a vécu, dit Barba, je n’ai pas connu un plus honnête homme que lui ; depuis sa mort je n’en ai pas encore rencontré un aussi honnête, quoique je sache qu’il en existe. »

Les romans de Pigault lui firent beaucoup d’ennemis, et cela devait être, car il s’est constamment attaché à démasquer les hypocrites de tous les états et de toutes les opinions ; on ne peut, toutefois, lui reprocher d’avoir attaqué la religion, il n’attaque que la superstition et les mauvais ministres ; encore ne les attaque-t-il