de qualité est censé avoir vécu sous le règne de Louis XIV, et avoir connu tous les grands hommes qui illustrèrent ce siècle mémorable. Il a eu l’adresse de les mettre plusieurs fois en scène. Tantôt c’est une conversation dont Racine et Boileau sont eux-mêmes les acteurs ; tantôt c’est un discussion qui a lieu entre des étrangers sur les auteurs français, tels que Corneille, Crébillon, Boileau, Fontenelle et Saint-Évremont ; il ne laisse point non plus échapper l’occasion de parler des grands événements qui eurent lieu pendant cette période. Ces événements, qui appartiennent à l’histoire, ne sont point déplacés dans ce roman, parce qu’ils ne sont là que comme accessoires, et que d’ailleurs ils sont amenés naturellement.
Le chef-d’œuvre de l’abbé Prévost est l’histoire de manon lescaut, qui, dans l’origine, n’était qu’un épisode des Mémoires d’un homme de qualité. Comment, dira-t-on peut-être, peut-on mettre tant de prix aux aventures d’une fille entretenue et d’un chevalier d’industrie ? C’est précisément à ce titre que l’ouvrage paraît le plus remarquable. Quel mérite a donc l’auteur, puisque avec un pareil sujet il a su attacher et émouvoir ? Comment deux enfants qui se prennent de passion l’un pour l’autre à la première vue, et qui semblent d’intelligence avant d’avoir pu se parler ; qui abandonnent tous les deux leurs parents pour s’enfuir ensemble, sans se douter si l’on a dans la vie d’autre besoin que de s’aimer ; qui se trouvent bientôt dans l’indigence, et dont l’une prend le parti de faire commerce de ses attraits, tandis que l’autre apprend à friponner au jeu ; comment ces deux personnes, dont les aventures jusque-là paraissent si communes, inspirent-elles dès le premier instant un intérêt si vif, et qui, à la fin, est porté au plus haut degré ? C’est qu’il y a de la passion et de la vérité, deux choses inappréciables dans tout ouvrage d’invention ; c’est que cette femme, toujours fidèle au chevalier Desgrieux, même en le trahissant, qui n’aime rien tant que lui, mais qui ne craint rien tant que la misère ; qui mêle un si grand charme à ses infidélités, dont l’imagination voluptueuse, les grâces, la gaieté, ont pris un si grand empire sur son amant, qu’une telle femme est un personnage aussi séduisant dans la peinture que dans la réalité ; c’est que l’enchantement qui l’environne, sous le pinceau de l’écrivain, ne la quitte jamais, pas même dans la charrette qui la transporte à l’hôpital ; c’est qu’en ce moment Manon, avec ses larmes qui l’inondent et ses beaux cheveux flottants qui la couvrent, liée par le milieu du corps, tendant les bras à son amant qui paye de quart d’heure en quart d’heure la permission de la suivre de loin, et qui attendrit jusqu’à ses impitoyables conducteurs, Manon semble être séparée de ses méprisables compagnes par le prestige qui suit par-