Page:Revue des Romans (1839).djvu/627

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nuances délicates et imperceptibles qu’en général elles saisissent plus facilement que nous, soit parce que l’amour a plus d’importance pour elles, soit parce que, plus intéressées à en tirer parti, elles en observent mieux les caractères et les effets. Les Lettres de Katesby furent les premiers essais de Mme Riccoboni, et cet essai est un chef-d’œuvre. Ce roman eut un grand succès et suffirait pour assurer à l’auteur une place distinguée parmi les romanciers du XVIIIe siècle ; il est conduit avec art et très-attachant, quoique le principal ressort soit un peu forcé. On ne peut toutefois s’empêcher d’admirer le parti que Mme Riccoboni a tiré d’un sujet qui ne paraissait presque susceptible d’aucun développement ; jamais elle n’a montré plus d’art dans la conduite d’un ouvrage ; jamais elle n’a entouré son héroïne de plus de charmes ; non-seulement on s’intéresse à elle, mais il est impossible de ne pas la plaindre, de ne pas l’aimer. Ce qui distingue l’auteur dans ces Lettres, comme dans tout ce qu’il a composé, c’est l’agrément de son style ; peu de femmes, peu d’hommes même, ont pensé avec autant de finesse et écrit avec autant d’esprit. Mme Riccoboni fuit ces dissertations approfondies et ces réflexions allongées qui font languir l’intérêt et qu’on prodigue dans les romans du jour : elle ne s’érige point en moraliste ; elle ne prêche point ; elle n’analyse point les passions avec subtilité, ne les gourmande point avec hauteur ; elle a toujours un excellent ton ; elle dévoile d’une main légère les secrets du cœur sans donner ses aperçus pour des découvertes ; elle évite le jargon inintelligible de la métaphysique sentimentale ; elle ne prétend point aux conceptions transcendantes du génie, elle se contente de développer un talent très-heureux, un esprit fort aimable et un goût parfait ; aussi gardera-t-elle toujours une place éminente parmi les femmes auteurs qui l’ont précédée, et nous doutons que celles qui l’ont suivie aient même le droit d’être jalouses du rang qu’elle occupe.

LETTRES DE MISTRESS FANNY BUTLER À MILORD CHARLES ALFRED DE CAITOMBRIDGE, ETC., in-12, 1756. On a beaucoup discuté pour savoir si les Lettres de Fanny Butler étaient ou n’étaient pas une correspondance véritable. Tout porte à croire que cette correspondance a véritablement existé, et qu’elle a été retouchée avant d’être mise au jour. Sans avoir besoin d’autres preuves, il suffirait presque de comparer les Lettres de Fanny avec les autres compositions de Mme Riccoboni, pour partager cette opinion. La singulière familiarité du style, les réticences qui coupent continuellement les phrases, les exclamations trop multipliées, la surabondance des épithètes, tout annonce un esprit jeune et une plume non encore exercée. D’ailleurs, il paraît certain que Mme Riccoboni lorsque ses amis l’ont un peu pressée de questions à ce sujet, a