Page:Revue des Romans (1839).djvu/735

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ses parents, et avait tous les défauts et toutes les grâces du naturel le plus aimable et d’une mauvaise éducation ; Eugénie, la troisième, avait été destinée au cloître, et s’y était consacrée à l’âge de seize ans, sans vocation, mais sans retour vers le monde. Mathilde avait senti, mais trop tard, que son intérêt avait été l’objet de ce sacrifice. Tendre, généreuse, vive dans toutes ses affections, elles s’était attachée avec une sorte de passion à celle dont on avait fait sa victime. Un mariage de convenance avait uni Ernestine au vieux marquis de Sanzei, et un mariage d’inclination venait d’être contracté entre le jeune Edmond et Mathilde, lorsque la révolution éclata. Edmond, malgré les larmes de sa femme, partit pour l’émigration ; et quelque temps après, toute la famille prit aussi le parti de s’expatrier. Rapprochée de sa famille par de nouvelles relations, Eugénie commença d’entrevoir les biens auxquels elle avait renoncé ; rapprochée du comte de Ladislas, seigneur polonais exilé de sa patrie, épris d’une vive et secrète passion, elle ne crut d’abord aimer en lui que la réunion de toutes les vertus ; mais quel fut le trouble de son cœur en apprenant combien elle était aimée, et combien dut-elle être effrayée de l’excès de son bonheur ! Comment rendre ce qui va suivre : les douleurs d’Eugénie et de Ladislas, les malheurs de Mathilde, et l’excès d’infortune qui va tomber sur toute cette famille, et le départ de Ladislas, et son retour, sa générosité, les joies célestes que peuvent goûter encore, au milieu des plus cruelles peines, deux cœurs unis par cette tendresse profonde dont l’amour n’est que l’occasion, et qui prend sa source dans des affections plus nobles et plus pures ? Comment peindre ensuite tant de maux et de courage, tant d’amour et de piété ? Il faudrait dire tout le roman : on n’en peut plus détacher un détail ; il n’en est pas un seul qui ne tienne à tout l’ensemble, ni sur lequel l’intérêt vif et pressant qu’on éprouve permette de s’arrêter en particulier. La grande figure qui domine dans tout le roman est celle d’Eugénie ; ange tutélaire des siens, elle attire constamment et repose le regard avec sa douce figure, sa longue robe noire, ses cheveux voilés de gaze, sa grande croix d’abbesse si noblement portée. Il y a un bien admirable sentiment entrevu, lorsque étant allée dans le parc respirer l’air frais d’une matinée d’automne, tenant entre ses bras le petit Victor, l’enfant de sa sœur, qui, attaché à son cou, s’approche de son visage pour éviter le froid, elle sent de vagues tendresses de mère passer dans son cœur, et qu’au même instant elle rencontre le comte Ladislas. Ce qu’Eugénie a senti palpiter d’obscur, il n’est point donné à des paroles de l’exprimer, ce serait à la mélodie seule à le traduire.

Mme  de Blesensky a essayé de donner une suite à ce roman,