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Page:Revue des deux mondes - 1937 - tome 40.djvu/784

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beaucoup publié : des vers que nous admirions, un roman, Isis, qui est une sorte de poème en prose ; des contes d’une singularité un peu cherchée et forcée, et de grands drames romantiques d’une magnificence et somptuosité de style qui nous enchantait.

De temps à autre, un nouvel arrivant venait s’installer à notre table, échangeait quelques mots et s’éclipsait. Et, à minuit et demi, le café fermait, on nous mettait dehors : c’était l’inflexible règlement de police qui, sur toute la ligne des Boulevards et aux Halles, ne tolérait à ces heures nocturnes que quelques cabarets ouverts. D’un pas lent de promenade, sur le trottoir à peu près désert, nous nous dirigions, Jean Marras et lui, vers le restaurant du Helder pour y achever la soirée.

En face d’une volaille froide et de quelques coupes de Champagne, dans le cadre d’une grande salle du premier étage, à quels sujets de causerie pouvions-nous bien employer ces longues heures de nuit ? La seule impression qui m’en reste, c’est qu’elles passaient trop vite ; et les seuls souvenirs qui demeurent sont ceux de quelques contes en projet dont il nous narrait la donnée, car volontiers il s’ouvrait de tout ce qu’il faisait ou devait faire. Il n’était pas comme certain que je connais, qui, cachottier et mystérieux, garde sur l’œuvre en gestation un silence jaloux, comme s’il craignait, en en divulguant le secret, de surprendre quelque signe d’improbation et de froideur dont son rêve se sentirait glacé et paralysé. Lui, au contraire, avait plaisir à parler ses récits avant de les écrire. Et, dans la surexcitation où cette sorte de mise en train le jetait, dans l’afflux d’idées nouvelles qui, par une espèce de choc en retour, lui pouvait venir de son public, si restreint et humble fût-il, peut-être avait-il des trouvailles, d’heureuses surprises dont il faisait son profit la plume à la main.

J’eus ainsi la primeur de contes dont quelques-uns parurent dans la Revue fantaisiste, la Chronique des Arts et des Lettres : des publications de jeunes ; presque tous roulaient autour d’un personnage, — Tribunat Bonhomet, — qu’il eût bien voulu élever à la hauteur d’un type, tel que le pharmacien Homais ou Joseph Prudhomme, mais qui n’a pas atteint leur popularité. De par ses qualités mêmes, cela